La situation dans la filière du lait

L’Ille et Vilaine est le premier département producteur de lait, voici une première contribution pour une discussion nécessaire.

3 septembre 2018

Les Rapaces

En cessant de payer le lait des producteurs et rompant unilatéralement contrats de production de poudre de lait qu’il avait signé (1), M. Liang Zhang, propriétaire du groupe Synutra, vient de faire vaciller l’ensemble de l’industrie laitière française.

Son comportement de requin n’honorant pas sa signature met dans l’incertitude des milliers de salariés et de producteur dont directement 350 salariés et 700 producteurs à Synutra Carhaix dans le Finistère où les paiements de Synutra ont cessé et 230 salariés et 500 producteurs à Maîtres Laitiers à Méautis dans la Manche où le contrat de livraison à Synutra a été dénoncé le premier août.

En 2015, en faisant sauter le système du prix du lait régulé pour les producteurs et le principes des quotas (limites maximales) de production, l’Union Européenne, avec l’appui d’économistes libéraux de l’INRA comme Guyomard, du syndicat de paysans FNSEA et des représentants des capitalistes transformateurs, précipitait l’ensemble du secteur du lait dans une fuite en avant vers les exportations de poudre de lait. En effet, même si le secteur fournit essentiellement le marché intérieur, la part de l’exportation est soudain devenue après 2015, la condition de son équilibre global.

Or le prix du lait en France est supérieur à celui du principal exportateur, la Nouvelle- Zélande. Même si le prix du lait continue à être trop bas pour permettre la survie des éleveurs à terme, il fallait donc en passer par des expédients pour exporter du lait en poudre vers la Chine, premier pays demandeur.

Parmi ces manœuvres, la grande coopérative Sodiaal (deuxième transformateur de lait français, 20 000 producteurs de lait, 10 000 salariés) avait trouvé l’idée de s’associer avec

M. Zhang. M. Zhang était jusqu’en 2005 le PDG de la laiterie Shengyan, impliquée ensuite dans la fraude géante du lait contaminé par la mélamine – poison au cyanure – qui, en 2008, avait détruit le marché chinois du lait en poudre pour bébés. Trois cent mille enfants chinois au moins avaient été touchés et le nombre de morts, par centaines probablement, n’est pas certain.

Notons que ce chevalier industrie du lait, francophone, à qui Sodiaal fait confiance depuis 1998 en créant à 50/50 la société Synutra a, en 2016, mis cette société Synutra au nom de sa femme dans un paradis fiscal dans des conditions étranges que les actionnaires avaient contestées aux USA.

M. Zhang explique aujourd’hui à ses « partenaires » français qu’il ne va pas honorer les engagements qu’il avait pris il y a dix ans.

En 2009, l’arrivée de Zhang en France s’était faite avec la bénédiction, et l’appui, des Régions Normandie et Bretagne ainsi que de l’inénarrable maire de Carhaix Troadec (un patron brasseur qui a évolué d’Attac-Udb aux Bonnets Rouges et aux partis nationalistes bretons de droite comme le nauséabond Parti Breton). Cet accueil en fanfare lui avait permis de construire à Carhaix pour 200 millions d’euros la plus grande usine européenne de poudre infantile et de signer un énorme contrat avec la laiterie normande Maîtres Laitiers du Cotentin.

La méfiance soudaine concernant le lait français après la contamination des produits le Lactalis en avril dernier est certainement un élément dans la volte-face de Synutra. Le renforcement des contrôles et de la sévérité du service officiel chinois (AQSIQ) joue également. L’âpre concurrence néo-zélandaise sur les prix est également un élément majeur. Cependant on ne doit pas exclure un comportement classique du capitaliste- brigand sans scrupules cherchant, à la fin de son aventure française, à s’échapper en réalisant ses investissements coûte que coûte.

Toujours est-il qu’au bilan, les industriels privés et coopératifs du lait, avec l’appui de l’Union Européenne et des Régions, ont mis l’équilibre subtil l’ensemble du secteur laitier français dans des mains peu recommandables et sur un marché fragile et aboutissent à la catastrophe.

Les emplois et le prix du lait doivent être assurés à Sodiaal et à Maîtres Laitiers du Cotentin.

Mais cette situation va se reproduire : on ne peut accepter que des spéculateurs comme les dirigeants de Synutra, Sodiaal etc. jouent au Monopoly avec des milliers d’emplois, des milliers de fermes laitières et des milliards de litres de lait par an. Le secteur laitier industriel doit être contrôlé par l’État pour assurer en priorité : les emplois, l’alimentation de bonne qualité à un juste prix et le paiement des producteurs de lait à un prix rémunérateur qui leur permettre de vivre.

Les producteurs de lait français de lait reçoivent en moyenne moins de 0,34€ (2) par litre en dessous du prix de revient moyen. Il faudrait 0,45€ pour assurer la rémunération de l’éleveur (3). Dans ces conditions, malgré la diminution de la production et la très légère remontée des prix en 2018, les éleveurs continuent à s’endetter.

(1)

Maîtres Laitiers : le contrat avec Synutra est rompu Ouest-France 31 août ; Lait. Synutra, géant chinois qui inquiète l’Ouest, Ouest-France 24 août ;

French dairy coop Sodiaal in talks to buy China’s Synutra plant, Reuters 29 août Synutra. Des saisies conservatoires effectuées jeudi à Carhaix, Ouest-France 21 août

Le lait chinois tourne à l’aigre pour certaines coopératives françaises, Le Monde 21 août (2) http://www.web-agri.fr/observatoire_marches/lait.html

(3) Un coût de production de « 450 €/ 1 000 l en France » La France Agricole 28/2/18 Les éleveurs se serrent la ceinture La France Agricole 26/7/18

Jean-René Breton POID Rennes


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