Entretien avec Thomas Mauceri, scénariste et réalisateur

Thomas Mauceri est scénariste, réalisateur. Il a déjà réalisé deux documentaires : «  Le mouton noir » (2008) et « Un homme sans histoire » 2018.
Il écrit ici le scénario d’une bande dessinée ( dessins de Seb Piquet) : « A la recherche de Gil Scott Heron ». Gill Scott Heron est un poète, chanteur noir américain, peu connu du grand public et pourtant considéré dans le milieu musical comme un précurseur du rap.
La BD nous emmène de Rennes à Paris, du New Hampshire à New York, de la Pennsylvanie à Baltimore. Ces voyages pour retrouver le chanteur, faire un documentaire sur sa vie et son œuvre est aussi une traversée du combat des noirs américains pour leur émancipation.

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Entretien avec Régine KOMOKOLI NAKOAFIO
Conseillère départementale d’Ille et Vilaine

 

entretien avec Régine Komokoli (2)

Tu as été élue avec l’étiquette EELV. Tu as publiquement démissionné de ce parti (voir le lien) peux tu expliquer pourquoi? https://m.facebook.com/story.phpstory_fbid=pfbid0WwqAP KKEc5apUisVuqyod9KYSiPnL57HH4HRyLJU78kQs8uwv ETzoeNqcp1i2eeml&id=100002476392462

D’abord c’est une déception, un échec. La rupture a été rude, mais il y avait désaccord sur les valeurs. Dans notre programme électoral il y avait la création d’une maison des

femmes. Rapidement je me suis rendue compte quand le projet a été annoncé en janvier dernier qu’il s’agissait d’un guichet de jour dans une annexe de l’hôpital.
Or, les femmes victimes de violences ne sont pas malades, il faut un lieu rassurant, qu’il n’y ait pas d’angoisse, un projet ambitieux à la hauteur d’une ville comme Rennes, qui soit à la fois innovant et en prise avec la réalité du terrain.

Une fois élue j’ai pris position pour que ça avance, ça n’a pas plu, j’ai été fortement remise en question. .J’ai eu l’impression de ne pas avoir le droit de m’exprimer. Alors que je ne faisais que respecter une promesse électorale très importante de notre programme.
Il y a aussi le fait qu’EELV mais c’est vrai pour les autres grands partis a oublié les quartier populaires. Ce ne sont pas les gens qui ne votent pas, ce sont ces partis que ne leur donnent pas envie de voter.

L’abstention c’est aussi une manière de prendre position qu’il faut respecter. Les « premier de corvées » sont fortement abstentionnistes, ils sont dans ces quartiers c’est eux qui ont fait fonctionner le pays pendant l’épidémie et rien n’est fait pour eux. Ils n’y croient plus

Tu es signataire de l’appel international de soutien au combat des femmes afghanes, peux tu expliquer pourquoi ?

Les droits des femmes se sont des droits humains ce sont les droits des enfants qui sont aussi victime. Le seul ennemi c’est le capitalisme et le patriarcat. J’ai du mal à concevoir qu’un pays comme la France ne prenne pas en compte les plus faibles et je suis convaincue que même de loin on peut changer les choses.

Je viens de République Centrafricaine, j’ai fui mon pays à cause de la guerre. Les viols contre les jeunes femmes c’est un arme que je ne connais que trop bien. C’est une des raisons pour lesquelles je suis arrivée ici. C’est donc naturel pour moi d’être solidaire du combat des femmes d’Afghanistan.

Les 9/10/11 décembre sont justement des journées de mobilisation internationale contre la guerre qu’en penses tu ?

Dans mon pays il n’y a pas d’usine d’armement, les armes viennent d’ici. C’est Dassault et d’autres. C’est Hollande puis Macron qui vend les rafales à l’Arabie Saoudite pour bombarder le Yémen. Les pays occidentaux sont complices.

En Centrafrique l’armée néocoloniale française est partie remplacée par les mercenaires de Wagner qui pillent et tuent sans contrôle, mais les réfugiés, ceux qui ont dû fuir leur pays, ici on ne les accueille pas.
Pour moi rien ne justifie la guerre, aucun peuple ne peut accepter d’engager la guerre. On paie des impôts et ils font des armes avec. On nous détourne des vrais sujets. La priorité c’est l’écologie, l’eau, la terre, le travail. Avec la guerre ils veulent nous faire peur. Foi de Régine.

Régine Komokoli NAKOAFIO
Conseillère départementale canton Rennes 6 (Pacè Rennes Nord Ouest Déléguée à la protection maternelle et infantile
Écologiste sans étiquette
Majorité départementale

Entretien avec Awa Gueye, sœur de Babacar Gueyetué par la police, à Rennes le 3 décembre 2015

Avant de nous parler des circonstances de la mort de ton frère et du combat que tu mènes pour que justice lui soit rendu, peux tu revenir sur son parcours de la banlieue de Dakar jusqu’à Rennes ?

Babacar a travaillé très jeune comme maçon journalier, il avait des petits chantiers. Avec l’argent qu’il a pu mettre de côté il est parti pour l’Europe, pour me rejoindre, pour des jours meilleurs. On a tout en Afrique mais le peuple n’en profite pas, les richesses sont  pillées par les multinationales c’est pour ça que les jeunes partent.

Il est parti à travers le Sénégal , la Mauritanie puis le Maroc. Il a franchi la méditerranée en zodiac. Il est arrivé en Espagne à Malaga. Il y est resté 2 ans, il s’est débrouillé, il faisait du commerce sur les plages. Quand je suis arrivée à Rennes avec mon fils il est venu nous rejoindre.

Il faisait tout pour s’insérer, il s’est inscrit à la section foot Cercle Paul Bert, il donnait bénévolement des cours de danse africaine au centre social carrefour 18, il suivait des cours de français au resto du cœur Jacques Cartier. Nous avions fait les démarches à la préfecture pour avoir des papiers, nous avions demandé conseil à la Cimade….

Et puis que s’est il passé dans la nuit du 2 au 3 décembre 2015 ?

Babacar est parti rendre visite et passer la soirée chez un ami sénégalais qui habitait dans le quartier de Maurepas. Il a passé la nuit là bas.

En pleine nuit Babacar s’est réveillé et a fait une crise d’angoisse, avec un couteau de table il se mutilait , son ami a essayé de l’aider, de le maîtriser sans réussir, il a alors appelé les pompiers.

Les pompiers sont bien arrivés et sont restés en bas de l’immeuble.

C’est la BAC qui a débarqué en mode de guerre et ils l’ont assassiné. Babacar ne présentait aucun danger, une personne qui se fait du mal à elle même mérite d’être aidée. C’est un acte de racisme, s’il avait été blanc il ne serait pas mort. Les pompiers sont formés pour maîtriser des personnes en crise.

Quand le Samu est arrivé Babacar était mort, au 9éme étage de l’immeuble (l’ami chez qui il était habitait au 7 éme étage), il avait 5 balles dans le corps et il était menotté. Le Samu a demandé à la police d’enlever les menottes…. et le matin même la police a porté plainte contre Babacar pour dire c’est une légitime défense !!! Moi Awa je sais qu’il n’y a pas de légitime défense car je connais mon frère.

Personne ne m’a prévenu , le lendemain matin quand je me suis réveillée j’ai cru qu’il était parti faire un footing au parc comme il fait souvent.  J’étais à l’école ou j’avais emmené mon fils quand un ami  de Babacar m’a téléphoné, j’ai perdu connaissance et les parents d’élèves ont appelé les pompiers qui m’ont aidé et conduit à Pontchaillou (CHU)

A l’hôpital on m’a conseillé d’aller au commissariat. Là bas on a refusé la présence de l’ami qui m’accompagnait pour m’aider puisque j’étais en apprentissage du français. On m’a montré une photo du corps, j’ai posé des questions, je voulais savoir. Un policier présent a dit « il voulait tuer un policier, on l’a tué ». On ne m’a pas dit combien il y avait de policier, j’ai demandé ou est mon frère, il s ont exigé une pièce d’identité, comme je ne l’avais pas avec moi, ils m’ont raccompagné à mon domicile et là ils ont tout fouillé et ils ont pris les papiers personnels de mon frère. Finalement Babacar avait été transféré de la médecine légale de Pontchaillou, où une autopsie avait été faite sans que je sois au courant, à la morgue de Cesson. Là bas j’ai vu Babacar et j’ai à nouveau perdu connaissance.

Le Consul du Sénégal du Havre est venu à Rennes très vite  avec un avocat et d’autres personnes. C’est lui qui m’a appris qu’une autopsie avait été faite. Il a dit de lui laisser 15 jours pour une contre autopsie. Il m’a assuré qu’il s’occupait des démarches pour ramener le corps de Babacar au Sénégal, comme ils font souvent pour le corps des victimes et que son avocat allait déposer plainte. Par respect j’ai accepté. Avec l’avocat sénégalais qu’il m’a présenté, j’ai demandé de déposer une plainte en tant que partie civile.

Je suis rentrée au Sénégal avec mon fils pour accompagner la dépouille de mon frère.

A mon retour la plainte de l’ avocat avait été classée sans suite et la contre autopsie que le Consul m’avait annoncé n’avait pas eu lieu !!

et tu as alors décidé de te battre pour que justice soit rendue à Babacar.

J’ai décidé de me battre pour la mémoire de mon petit frère et que justice soit faite. Personne ne mérite de mourir de cette manière là par la main de la police.

La France a été chercher les tirailleurs sénégalais pour se défendre, on vient ici pour travailler parce que chez nous les richesses de nos pays sont volées comme je te l’ai dit. On doit être respecté, on ne peut pas accepter d’être tué par la police et ne rien dire.

J’ai donc engagé une longue bataille pour Babacar. J’ai demandé à rencontrer l’ancien juge, à voir le dossier complet avec un deuxième avocat.

Après c’est devenu compliqué avec l’ avocat, j’ai décidé de changer d’avocat, avec le nouvel avocat on a demandé une expertise balistique.

Dans les scellés les preuves matérielles ont été détruites « par erreur », en triant d’anciens scellés. Les scellés doivent être conservés 10 ans et ne doivent pas disparaître . . Si la police est innocente les scellés ne sont pas détruit « par erreur ».

L’expertise balistique a montré qu’aucune balle n’est rentrée dans le corps de face. Quatre balles ont été tirées dans le haut du corps et une dans la fesse gauche. Ou est la légitime défense ?

J’ai à nouveau changé d’avocats, j’ai actuellement deux avocats, parce que je voulais faire une reconstitution des faits  sur les lieux, dans les paliers de l’escalier ou la police a assassiné Babacar avec toutes les personnes présentes ce jour là. Parce que la reconstitution a eu lieu en l’absence de nombreux acteurs et témoins.

Avant la reconstitution des faits, nous avons demandé une  morpho analyse de goutte de sang (pour savoir si Babacar était capable de monter du 7éme au 9éme étage comme l’ont affirmé les policiers avec 5 balles dans le corps , sachant que la première balle reçue dans le haut du dos était létale.

Il y a eu aussi un changement de juge, avec mes avocats , nous avons demandé que les expertises balistiques et médico légales soient faites conjointement pour comprendre l’incidence de l’une sur l’autre.

Ce qui est très important pour moi c’est que je ne suis pas seule. Dès le début mes amis, les amis de Babacar m’ont aidé. Ils ont constitué le collectif Justice et vérité pour Babacar Gueye.

Des familles de victimes de violences policières sont venues à Rennes me soutenir et à mon tour je vais les aider. Je reçois des messages de soutien d’Allemagne ou j’ai été invitée par le collectif de défense de Oury JALOH, mort brûlé dans la cellule d’un commissariat, les policiers ont affirmé qu’il s’était brûlé avec son briquet !!!!  J’ai des soutiens aussi en Angleterre. J’ai des soutiens un peu partout en France, en Europe, au Canada. Je ne veux pas qu’on oublie Babacar, il avait 27 ans il était en France depuis un an, il n’a jamais fait de mal , personne ne mérite de mourir de cette façon là.

Je continue le combat, je n’oublie pas, je ne pardonne pas.

Je ne veux pas que le nom de mon frère tombe dans l’oubli.

NON AUX 1607h LE COMBAT NE FAIT QUE COMMENCER

Questions à 5 salariés EHPAD Ville de Rennes

Question 1: Comme dans toute la France, les employés communaux de la ville de Rennes sont engagés dans la  bataille contre l’augmentation du temps de travail en application de la loi Dussopt. Peux tu faire le point sur la situation aujourd’hui ?

Suite à la loi de Réforme de la Fonction publique de 2019, le gouvernement impose aux collectivités territoriales un alignement annuel du temps de travail à 1607 h. 

Sous prétexte de mettre tous les agents de la Fonction Publique Territoriale à égalité, cette réforme ne prend pas en compte les disparités en terme précisément de conditions de travail.

A la ville de Rennes, un mouvement de contestation a été initié par des agents des bibliothèques, suivis d’autres corps de métiers, et notamment dans le domaine de la santé.

Un préavis de grève est déposé jusqu’au 30 juin 2021 à l’initiative d’une délégation intersyndicale (FO, CGT, SUD, UNSA… Exceptée la CFDT).

Je suis Aide-Soignante en EHPAD, et comme mes collègues du SSIAD, nous sommes concernés par la suppression du Repos Compensateur (suite au week-end travaillé) soit 24 jours par an, et par la suppression de 3,5 jours de congés exceptionnels.

Soit 27.5 jours par an.

A ce jour, les représentants du CCAS et de la DPAg (Direction des Personnes Agées) ne veulent pas entendre nos revendications (maintien des Repos Compensateurs) et proposent une réorganisation effective de nos plannings à compter du 01 Septembre 2022.

 

Question 2: Les tracts syndicaux font  état de revendications de contre-parties à l’allongement du temps de travail, plutôt que d’annuler complètement cet allongement. Qu’en penses-tu ?

Depuis que je travaille comme Aide-Soignante à la ville de Rennes, j’ai constaté que de nombreux collègues ont fait le choix du temps partiel, principalement à cause de la charge de travail.

Les contreparties à l’allongement du temps de travail proposées par notre hiérarchie sont 2 primes :

  • 15 euros / par samedi travaillé
  • 100 euros bruts / dimanche travaillé.  
  • 7 jours de RTT (fort probablement imposés et non choisis)
  • 7 jours pour compenser la pénibilité du métier (A savoir que n’est reconnu pénible que le métier d’Aide-Soignant, et pas ceux d’Infirmiers, ni d’Agents de Restauration…)

Il est certain que ces mesures (encore floues pour la plupart) sont loin de compenser la fatigue entraînée par notre engagement professionnel et nos horaires (coupures sur 12 h, une à 3 fois /mois, horaires de nuit, etc.).

La réduction du temps de travail est selon moi, une solution raisonnable, si nous voulons garantir une qualité des soins et rendre attractifs nos métiers.

Récemment, la crise sanitaire (nous avons souffert d’un cluster en début d’année à l’EHPAD où je travaille) a montré à quel point il est difficile de recruter du personnel compétent pour nous remplacer.

Question 3: Les salariées travaillant le week-end, en EHPAD par exemple, sont confrontées à d’autres remises en cause concernant le travail le samedi et dimanche. Peux-tu en dire un mot ?

Nous travaillons toujours en effectifs réduits les samedi-dimanche et fériés (par exemple, 3 postes d’AS en coupures et donc 3 postes d’AS en moins… Un seul Infirmier les dimanche et fériés en horaire de coupure aussi). 

Pour moi, il s’agit déjà d’une institutionnalisation de la maltraitance. Pourquoi nos Personnes Agées n’auraient-elles pas le droit les week-end et fériés à autant de soins qu’en semaine ?

La réforme actuelle conduit enfin à une régression du Code du travail à travers la non reconnaissance du travail le dimanche.

Larbi Benchiha, algérien vivant à Rennes, rencontré dans les manifestations de soutien au peuple palestinien

Il nous raconte comment son expérience professionnelle l’a amené à saisir une caméra pour montrer les injustices de la société et les combattre.

Nous lui donnons la parole.

 

J’ai travaillé pendant six ans comme éducateur social auprès de jeunes en rupture scolaire et social dans un quartier catalogué de « défavorisé » à Rennes. C’est cette expérience professionnelle qui m’a fait prendre conscience du dysfonctionnement de la société et surtout des limites du travail social. Ce n’est pas en mettant des éducateurs qu’on résout les problèmes sociaux, la pauvreté, l’exclusion sociale, l’échec scolaire etc. Pour cela, il faudrait carrément changé de paradigme. Dire que dans une ville il y a des quartiers favorisés et d’autres qui ne le sont pas, c’est déjà une anomalie sociétale, pour ce faire, ne faudrait-il pas commencer par réfléchir à la notion de justice sociale ?

Bref, une véritable intégration doit être la conséquence d’une réelle volonté politique. Voilà, brièvement, les raisons, il y en a d’autres, qui furent le déclic de mon engagement dans la voie du documentaire social.

 

Raconter la société n’est plus une option pour moi, cela devient une nécessité. J’ai décidé de quitter mon le métier d’éducateur pour une formation à l’école des métiers de l’image les des Gobelins, puis un cycle complémentaire à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel). A l’issue de ces formations, je suis revenu à Rennes. J’ai travaillé pigiste pour plusieurs télévisions. Puis, a surgit un évènement fondateur pour moi, j’ai rencontré le cinéaste breton René Vautier, le un « cinéaste combattant » pour qui j’ai travaillé comme chef opérateur.  Cette rencontre a été déterminante dans ma vie professionnelle et dans ma pensée en tant que cinéaste documentariste. L’idée d’un cinéma engagé s’est confirmée. Faire du cinéma documentaire m’est apparu comme une possibilité de dire la société.  Incrédule, je savais que le cinéma ne changera pas la face du monde, au mieux, apporte le désir de mieux vivre et le rêve d’un monde juste. Pour une transformation radicale de l’ordre des choses, seule une conscience citoyenne est en mesure de réaliser un tel projet de société.

 

D’éducateur de rue à caméraman de rue

Après la formation, caméra à l’épaule, je me suis souvent baladé dans les rues de Rennes. C’est comme cela que j’ai rencontré un groupe de jeunes qui vivait sous un porche. A Rennes, on les appelé « la bande des chiens ». Je leur rendais visite très souvent, toujours avec ma caméra, même si je ne filme pas. Ce seront ces jeunes qui un jour, m’ont demandé de les filmer. Je n’attendais que ça pour appuyer sur le bouton start. Six  mois plus tard, en 1997, naît mon premier documentaire « Home d’infortune », fruit d’une longue immersion dans le monde de la rue. Lorsque j’ai réalisé ce film, j’avais le sentiment de comprendre un peu mieux l’univers des laissés pour compte. J’allais régulièrement manger avec eux au restaurant social « Le Fourneau ». C’est là que j’ai commencé à échanger avec Yannick, la cinquantaine, mais paraissait nettement plus. Sans doute, les stigmates de la rue… J’ai vite senti qu’il y avait, là, un film à faire avec lui. Pour moi, un film, c’est avant tout le fruit d’une rencontre. Yannick habite alors dans un abri au pied d’un immeuble. Un soir, avec ma camera chargée d’un cassette de 30mn, j’ai poussé la porte de son squat. D’emblée, Yannick, c’est son prénom, m’a dit tu viens pour me filmer ? Sans attendre ma réponse, il a rajouté, tu aurais dû me prévenir, je me serais fait une beauté. Ce soir-là j’ai filmé Yannick, one shot pendant les 30mn. J’en ai sorti un film de 30mn : « La vie sans toit ».

 

A celui-ci succède « Home squat, le wagon des punks » qui conclura la trilogie consacrée aux gens de la rue. Encore une fois, c’est le souci de la rencontre qui m’amène à réaliser ce film avec ce groupe de jeunes qui s’était installé au port du Légué à Saint-Brieuc. Ils avaient construit des barrières autour d’un wagon désaffecté. Je savais qu’il y avait une vie à l’intérieur de cet espace. Comme pour mes films précédents, j’ai pris mon temps. C’était une micro-société aux abords de laquelle je passais régulièrement, jusqu’au jour où j’ai poussé la porte. Les habitants ne m’ont jamais demandé de justifier ma présence. C’était un lieu d’une liberté incroyable. En leur proposant de projeter mes films documentaires, ils ont pu découvrir ma pratique cinématographique, puis, des liens se sont tissés et j’ai filmé leur quotidien sur une année entière.

 

Rendre lisible des enjeux de société

J’aime le cinéma qui porte les voix publiques, qui est accessible à tous. L’enjeu pour moi est de faire des films que la société puisse s’en approprier, que le film s’affranchit de son auteur et devient autonome, accède au statut d’objet d’utilité sociale.

 

Le cinéma documentaire c’est la nécessité d’apprendre pour comprendre et le plaisir de voir pour s’émouvoir…

Ce qui est fondamental, c’est de donner à voir et à comprendre des histoires de vie. On peut passer devant les choses, les voir au quotidien, sans les comprendre. Par le cinéma documentaire, on peut donner à voir et à entendre une problématique et la rendre partageable, voire empathique. Ainsi, on peut s’approprier les problématiques qui nous concernent tous, puisque nous interagissons au sein d’un seul et même espace collectif. Je travaille souvent avec des gens qui vivent à la lisière de la société, des règlementations, ou d’un mode culturel alternatif. L’enjeu est de casser cette lisière et de la rendre poreuse pour que les gens puissent imaginer une circulation entre leurs différents mondes sociaux.

 

Il s’agit de se comprendre, pas juste de se regarder. Il faut créer des rapports, des intérêts communs, même s’ils sont différents, car là où il n’y a pas d’échanges, c’est le repli qui prend la relève. Quand je filme, c’est pour propose de regarder là où, habituellement, le regard se détourne. C’est dans ce souci de rendre lisible qu’un jour, au détour d’une rencontre, je me suis intéressé à l’histoire des essais nucléaires et à leur impact sur les populations et leurs environnements.

 

Le documentaire, une voie pour aller plus loin

J’ai commencé la trilogie sur les essais nucléaires en 2008 avec le film « Vent de sable, le Sahara des essais nucléaires ». Pendant le tournage, j’ai appris que la France avait continué ses essais jusqu’en 1966 en Algérie alors que le pays était indépendant depuis quatre ans. Il me semblait alors indispensable de continuer à explorer ce qui était caché. C’est comme cela qu’est né le film « L’Algérie, De Gaulle et la bombe » en 2010. Je ne pouvais pas laisser cette histoire dans l’oubli. 

Pour aller plus loin encore, en 2016, j’ai réalisé le troisième film de la trilogie : « Bons baisers de Morura ». Il s’agit de montrer la logique nucléariste militaro-industrielle. Raconter les conséquences des radiations sur le long terme, sur plusieurs générations. Cela nous concerne tous. En France, on ne parle pas de ces sujets ! Alors que dès les années 1960, le biologiste Jean Rostand affirmait que le nucléaire altérait les génomes ! Nous le savions. Les essais ont eu lieu, loin des pays commanditaires, mais dans des zones peuplées.

 

L’histoire des essais nucléaires est un héritage sans fin.

La trilogie n’a pas suffit à clore cette histoire, j’ai découvert que dès 1945, Joliot-Curie Frédéric a été nommé à la tête du CEA et aussitôt inaugure l’institut Français du Radium. Voilà ce qu’il a dit à l’assistance : « Si je pouvais, je lancerai sur la France 2000 prospecteurs d’uranium ! Ils balaieraient systématiquement notre sol au compteur Geiger du Pas de calais aux Pyrénées. »

Entre 1948 et 2001, 250 mines d’uranium ont été exploitées pour fournir l’uranium, un combustible nécessaire au programme nucléaire. Ainsi est né mon quatrième film « Bretagne radieuse » qui retrace cette histoire et surtout le scandale de la contamination des anciennes mines d’uranium.

Actuellement, je travaille sur un nouveau film, je suis seulement en phase d’écriture, mais je sais que ce film s’adosserait à une mission scientifique dans le but de réaliser une enquête radiologique sur les anciens sites nucléaires sahariens.

 

VENT DE SABLE :

https://vimeo.com/105111755

Mot de passe : nucléaire

 

L’Algérie, De Gaulle et la bombe

https://vimeo.com/174206050

mot de passe : DEGAULLE

 

Bons Baisers de Moruroa

https://vimeo.com/230926871

Mot de passe :  Moruroa

Entretien avec Loïc et Franck, délégués CGT chez Keolis Armor

Présentez-nous Keolis Armor

PREPARATION DE LA GREVE.

Loïc et Franck On est 485 salariés répartis sur 6 dépôts (certains sont de simples parkings) sur le département d’Ille et Vilaine. Il y a peu nous étions plus de 500 mais une soixantaine d’entre nous ont été transférés chez Transdev avec des pertes de salaires allant de 200 à 270 euros par mois…. Keolis Armor travaille en délégation de service public pour la Région Bretagne et en sous traitance pour Keolis pour les transports de voyageurs sur Rennes Métropole, sur les lignes qui vont de Rennes vers la périphérie.

Par rapport à Keolis on a une convention collective (routier/voyageur) nettement moins avantageuse.

Vous êtes en période de NAO (négociations salariales) comment cela se passe-t-il ?

Loïc et Franck Nous sommes 3 syndicats sur l’entreprise CGT, FO et CFDT. On travaille ensemble pour ces négociations. Aucun syndicat n’est représenté sur tous les dépôts. Avec l’union c’est mieux on touche tous les salariés. La première réunion a été totalement négative, la direction nous a proposé une enveloppe de 50000€ pour tout le monde ça fait environ 103€ par salarié. On se moque de nous.

Quelles sont vos revendications ?

Loïc et Franck On demande une augmentation des salaires de 1,3%, on veut une prime Macron de 250€ l’augmentation du ticket restaurant de 6,5 à 9€, la majoration des heures de nuit et de dimanche à 70% actuellement c’est 60 et 65%. Pour les chauffeurs occasionnels on demande que leur temps de travail soit payé en cas d’annulation dans le délai de prévenance de 3 jours. On demande aussi que ceux qui font du transport scolaire bénéficie de 25 minutes pour le nettoyage du car comme c’est le cas pour le transport passager. On demande également que notre repos journalier soit de 11 h consécutives et l’amplitude de la journée de 12h maxi alors qu’ils sont de 10h et de 13h pour le moment et on demande enfin que le passage de l’effectif en dessous du seuil de 500 ne s’accompagne pas d’une baisse du nombre d’heures pour les élus et de la suppression des 20h mensuelles pour les représentants syndicaux.

Et donc….

Loïc et Franck Nous avons tous en mémoire la grève il y a deux ans. 80% des salariés avaient fait grève à l’appel des 3 syndicats. On avait donné la consigne de laisser les bus ou ils étaient au départ de la grève. La direction avait été obligée de passer de 0,5 à 1 ,8 d’augmentation. Cette année on les a prévenus, si elle reste sur ses positions à la 2ème réunion il y aura grève. On a fait une information aux salariés. Comme nous sommes en délégation de service public nous devons notifier la grève 15 jours avant et confirmer par un préavis 5 jours avant. Tout est prêt, la balle est dans le camp de la direction.