Avant de nous parler des circonstances de la mort de ton frère et du combat que tu mènes pour que justice lui soit rendu, peux tu revenir sur son parcours de la banlieue de Dakar jusqu’à Rennes ?
Babacar a travaillé très jeune comme maçon journalier, il avait des petits chantiers. Avec l’argent qu’il a pu mettre de côté il est parti pour l’Europe, pour me rejoindre, pour des jours meilleurs. On a tout en Afrique mais le peuple n’en profite pas, les richesses sont pillées par les multinationales c’est pour ça que les jeunes partent.
Il est parti à travers le Sénégal , la Mauritanie puis le Maroc. Il a franchi la méditerranée en zodiac. Il est arrivé en Espagne à Malaga. Il y est resté 2 ans, il s’est débrouillé, il faisait du commerce sur les plages. Quand je suis arrivée à Rennes avec mon fils il est venu nous rejoindre.
Il faisait tout pour s’insérer, il s’est inscrit à la section foot Cercle Paul Bert, il donnait bénévolement des cours de danse africaine au centre social carrefour 18, il suivait des cours de français au resto du cœur Jacques Cartier. Nous avions fait les démarches à la préfecture pour avoir des papiers, nous avions demandé conseil à la Cimade….
Et puis que s’est il passé dans la nuit du 2 au 3 décembre 2015 ?
Babacar est parti rendre visite et passer la soirée chez un ami sénégalais qui habitait dans le quartier de Maurepas. Il a passé la nuit là bas.
En pleine nuit Babacar s’est réveillé et a fait une crise d’angoisse, avec un couteau de table il se mutilait , son ami a essayé de l’aider, de le maîtriser sans réussir, il a alors appelé les pompiers.
Les pompiers sont bien arrivés et sont restés en bas de l’immeuble.
C’est la BAC qui a débarqué en mode de guerre et ils l’ont assassiné. Babacar ne présentait aucun danger, une personne qui se fait du mal à elle même mérite d’être aidée. C’est un acte de racisme, s’il avait été blanc il ne serait pas mort. Les pompiers sont formés pour maîtriser des personnes en crise.
Quand le Samu est arrivé Babacar était mort, au 9éme étage de l’immeuble (l’ami chez qui il était habitait au 7 éme étage), il avait 5 balles dans le corps et il était menotté. Le Samu a demandé à la police d’enlever les menottes…. et le matin même la police a porté plainte contre Babacar pour dire c’est une légitime défense !!! Moi Awa je sais qu’il n’y a pas de légitime défense car je connais mon frère.
Personne ne m’a prévenu , le lendemain matin quand je me suis réveillée j’ai cru qu’il était parti faire un footing au parc comme il fait souvent. J’étais à l’école ou j’avais emmené mon fils quand un ami de Babacar m’a téléphoné, j’ai perdu connaissance et les parents d’élèves ont appelé les pompiers qui m’ont aidé et conduit à Pontchaillou (CHU)
A l’hôpital on m’a conseillé d’aller au commissariat. Là bas on a refusé la présence de l’ami qui m’accompagnait pour m’aider puisque j’étais en apprentissage du français. On m’a montré une photo du corps, j’ai posé des questions, je voulais savoir. Un policier présent a dit « il voulait tuer un policier, on l’a tué ». On ne m’a pas dit combien il y avait de policier, j’ai demandé ou est mon frère, il s ont exigé une pièce d’identité, comme je ne l’avais pas avec moi, ils m’ont raccompagné à mon domicile et là ils ont tout fouillé et ils ont pris les papiers personnels de mon frère. Finalement Babacar avait été transféré de la médecine légale de Pontchaillou, où une autopsie avait été faite sans que je sois au courant, à la morgue de Cesson. Là bas j’ai vu Babacar et j’ai à nouveau perdu connaissance.
Le Consul du Sénégal du Havre est venu à Rennes très vite avec un avocat et d’autres personnes. C’est lui qui m’a appris qu’une autopsie avait été faite. Il a dit de lui laisser 15 jours pour une contre autopsie. Il m’a assuré qu’il s’occupait des démarches pour ramener le corps de Babacar au Sénégal, comme ils font souvent pour le corps des victimes et que son avocat allait déposer plainte. Par respect j’ai accepté. Avec l’avocat sénégalais qu’il m’a présenté, j’ai demandé de déposer une plainte en tant que partie civile.
Je suis rentrée au Sénégal avec mon fils pour accompagner la dépouille de mon frère.
A mon retour la plainte de l’ avocat avait été classée sans suite et la contre autopsie que le Consul m’avait annoncé n’avait pas eu lieu !!
et tu as alors décidé de te battre pour que justice soit rendue à Babacar.
J’ai décidé de me battre pour la mémoire de mon petit frère et que justice soit faite. Personne ne mérite de mourir de cette manière là par la main de la police.
La France a été chercher les tirailleurs sénégalais pour se défendre, on vient ici pour travailler parce que chez nous les richesses de nos pays sont volées comme je te l’ai dit. On doit être respecté, on ne peut pas accepter d’être tué par la police et ne rien dire.
J’ai donc engagé une longue bataille pour Babacar. J’ai demandé à rencontrer l’ancien juge, à voir le dossier complet avec un deuxième avocat.
Après c’est devenu compliqué avec l’ avocat, j’ai décidé de changer d’avocat, avec le nouvel avocat on a demandé une expertise balistique.
Dans les scellés les preuves matérielles ont été détruites « par erreur », en triant d’anciens scellés. Les scellés doivent être conservés 10 ans et ne doivent pas disparaître . . Si la police est innocente les scellés ne sont pas détruit « par erreur ».
L’expertise balistique a montré qu’aucune balle n’est rentrée dans le corps de face. Quatre balles ont été tirées dans le haut du corps et une dans la fesse gauche. Ou est la légitime défense ?
J’ai à nouveau changé d’avocats, j’ai actuellement deux avocats, parce que je voulais faire une reconstitution des faits sur les lieux, dans les paliers de l’escalier ou la police a assassiné Babacar avec toutes les personnes présentes ce jour là. Parce que la reconstitution a eu lieu en l’absence de nombreux acteurs et témoins.
Avant la reconstitution des faits, nous avons demandé une morpho analyse de goutte de sang (pour savoir si Babacar était capable de monter du 7éme au 9éme étage comme l’ont affirmé les policiers avec 5 balles dans le corps , sachant que la première balle reçue dans le haut du dos était létale.
Il y a eu aussi un changement de juge, avec mes avocats , nous avons demandé que les expertises balistiques et médico légales soient faites conjointement pour comprendre l’incidence de l’une sur l’autre.
Ce qui est très important pour moi c’est que je ne suis pas seule. Dès le début mes amis, les amis de Babacar m’ont aidé. Ils ont constitué le collectif Justice et vérité pour Babacar Gueye.
Des familles de victimes de violences policières sont venues à Rennes me soutenir et à mon tour je vais les aider. Je reçois des messages de soutien d’Allemagne ou j’ai été invitée par le collectif de défense de Oury JALOH, mort brûlé dans la cellule d’un commissariat, les policiers ont affirmé qu’il s’était brûlé avec son briquet !!!! J’ai des soutiens aussi en Angleterre. J’ai des soutiens un peu partout en France, en Europe, au Canada. Je ne veux pas qu’on oublie Babacar, il avait 27 ans il était en France depuis un an, il n’a jamais fait de mal , personne ne mérite de mourir de cette façon là.
Je continue le combat, je n’oublie pas, je ne pardonne pas.
Je ne veux pas que le nom de mon frère tombe dans l’oubli.