Entretien avec Thomas Mauceri, scénariste et réalisateur

Thomas Mauceri est scénariste, réalisateur. Il a déjà réalisé deux documentaires : «  Le mouton noir » (2008) et « Un homme sans histoire » 2018.
Il écrit ici le scénario d’une bande dessinée ( dessins de Seb Piquet) : « A la recherche de Gil Scott Heron ». Gill Scott Heron est un poète, chanteur noir américain, peu connu du grand public et pourtant considéré dans le milieu musical comme un précurseur du rap.
La BD nous emmène de Rennes à Paris, du New Hampshire à New York, de la Pennsylvanie à Baltimore. Ces voyages pour retrouver le chanteur, faire un documentaire sur sa vie et son œuvre est aussi une traversée du combat des noirs américains pour leur émancipation.

L’album est augmenté par une discographie complète et commentée par Dorothée Nolan, journaliste.

La bande dessinée a été traduite en anglais et diffusée en Angleterre et aux États Unis par les éditions Titan.

Nous lui avons posé quelques questions.

D’où est venue l’idée d’un documentaire sur Gill Scott Heron ?

Quand j’arrive à l’université du New Hampshire pour suivre des études cinématographiques, en août 2000, on est en pleine campagne électorale entre Bush et Al Gore. Un ami me fait écouter une chanson de Gil Scott Heron, écrite 30 ans plus tôt : « the revolution will not be televised » dans laquelle le chanteur dit « NBC  ne pourra pas donner le vainqueur à 8h32 pas plus que le décompte des voix dans 29 districts ». Et c’est ce scénario que nous avons devant nous avec une fraude massive et une confusion sur les résultats qui va durer des semaines et aboutir à l’élection de Bush. Cette prémonition étonnante va me décider à mieux connaître ce chanteur.

Je quitte les États Unis juste après les attentats du World trade center. Il y règne une tension extrême.

Je reviendrai en 2007 pour le tournage de mon documentaire « le mouton noir » dans un salon de coiffure afro américain de Baltimore dans le Maryland. J’y retrouve la trace de G S Heron qui a étudié là bas. Je me décide alors à me lancer dans la réalisation d’un documentaire sur le chanteur.

La bande dessinée raconte les difficultés, les rencontres manquées en France ou aux États Unis jusqu’à cet ultime rendez vous ….avec la mort de Gil Scott Heron. De cette impossibilité ( temporaire?) de faire ce documentaire naîtra la BD.

Le racisme saute au visage dans ta BD. On ne s’attend pas à un racisme aussi brutal dans un état comme le New Hampshire ?

Beaucoup de mes amis m’ont fait cette réflexion. Mais aux Etats Unis le racisme est dans tout le pays, il y a un cloisonnement entre les noirs et les blancs. Une anecdote : j’étais assis sur un banc à l’université, une fille que je connaissais juste de vue vient s’asseoir à côté de moi et nous engageons la conversation, au bout d’un moment elle me dit : « je n’aurai jamais cru avoir une telle discussion avec une personne comme toi » , « comme moi tu veux dire avec un français ? » « euh non…. »

Gill Scott  Heron est né à Chicago mais il a passé son enfance dans le sud, il a vécu la ségrégation, il a été un des premiers élèves noir à aller dans une école blanche. La rencontre que je fais avec une vieille dame, à Time Square le soir de l’élection d’Obama est très révélatrice, elle me prend dans ses bras, elle me dit «  quand j’étais petite j’habitais dans le sud , il faisait une chaleur écrasante en été, tous les après midi nous allions à la piscine mais je voyais bien que les enfants noirs ne pouvaient pas rentrer, ma mère me disait la porte s’ouvre pour les enfants blancs et qu’elle se fermait toujours pour les noirs… aujourd’hui c’est comme si les portes de ma piscine s’ouvraient enfin. »

Gill Scott Heron a chanté contre le racisme, contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour la Palestine. Dans une interview il répond : «  Vous savez, aux Etats Unis, si vous êtes noir vous êtes de toute façon en danger. Que l’on dise quelque chose ou pas de toute façon nous sommes en danger. Donc autant s’exprimer et prendre ce risque plutôt que ne rien dire  et être quand même en danger »

Justement le combat des noirs pour leur émancipation traverse ta BD ?

Oui, on peut dire qu’il la structure. A la fin des années 70, G S Heron a participé à la tournée triomphale de Stevie Wonder à travers les USA ( il remplaçait Bob Marley indisponible) pour que le jour de l’assassinat de Martin Luther King soit un jour férié. Ce combat sera gagné, Reagan devra signé la loi qui fait du 3ème lundi de janvier un jour férié.

Il sympathisait à cette époque avec le Black Panther Party, c’était l’époque ou les étudiant noirs de l’l’université Hopkins à Baltimore, ou il enseignait faisaient, des rondes pour empêcher les raids du Klu Klux Klan. C’est à Baltimore qu’il rencontre le groupe « the Last poets » qui vont l’encourager à poursuivre une carrière musicale.

Plus tard, je suis à New York au moment de l’élection d’Obama, je n’ai jamais connu un telle moment de liesse politique. En fait son élection a aussi fédérée toutes les haines racistes. Barak Obama sénateur a été un sénateur courageux, le seul sénateur a s’opposer à la guerre en Irak, mais en tant que Président….. Il y a eu beaucoup de désillusions. Le problème c’est que les démocrates ce n’est pas la gauche.

Je termine la BD sur la soirée électorale qui voit la victoire de Trump, face à l’abattement général, le chanteur du groupe de rap « the last poets » lance les paroles de Marcus Garvey ( vétéran de la lutte pour l’émancipation des noirs qui a vécu au début du 20ème siècle) « Organize, Organize, Organize » et nous nous précipitons tous à la première manifestation contre Trump.

Propos recueillis par Pierre Priet