La décision de l’Union Européenne d’interdire les moteurs thermiques trouve sa justification officielle dans la diminution des émanations de CO². Est-ce une réalité ?
La loi du 17 août 2015 relative « à la transition énergétique pour la croissance verte » se proposait de « renforcer l’indépendance énergétique du pays, réduire les émissions de gaz à effet de serre et accélérer la croissance verte ». La Tribune des travailleurs propose à ses lecteurs d’examiner, dans ses numéros d’été, la réalité de cette « transition » à travers quatre thèmes : l’hydrogène, la forêt, le lithium et l’énergie nucléaire.
Pourquoi le lithium ?
Le lithium, appelé « or blanc de l’économie verte », est souvent cité dans les médias comme étant un élément essentiel de « la transition énergétique ». Pourquoi ? Le réchauffement climatique en cours est le résultat du dégagement de gaz à effet de serre, dont le dioxyde de carbone (CO2). Une source importante du CO2 provient des transports. En effet, les moteurs thermiques des véhicules tirent leur énergie de la combustion de l’essence ou du gazole, processus qui libère le CO2. À la suite de l’accord de Paris (2015) entre États, les gouvernements des principaux pays capitalistes ont décidé de remplacer les moteurs thermiques des véhicules par des moteurs électriques tirant leur énergie électrique de batteries au lithium. L’augmentation récente de leurs capacités de stockage et de leur rapidité de restitution de l’énergie électrique, améliorant respectivement l’autonomie (de 300 à 700 km) et l’accélération du véhicule, expliquent ce succès.
Qu’est-ce qu’une batterie au lithium?
C’est un ensemble d’accumulateurs ou modules capables de convertir l’énergie électrique en énergie chimique en période de charge et de la restituer en énergie électrique pour alimenter un système. Une batterie possède deux électrodes : une cathode composée d’oxydes métalliques (nickel, cobalt, manganèse) en proportions variables et une anode en graphite (avec ou sans silicium) (1). Le lithium a été choisi en raison 1. de sa petite taille lui permettant de s’insérer dans la structure feuilletée des deux électrodes et 2. de sa faculté à perdre un électron « e- » ou charge négative (2), dont le déplacement constitue le courant électrique alimentant le moteur électrique.
Quelle masse de lithium et autres métaux dans les véhicules électriques ?
La masse d’une batterie-lithium pour une automobile est de 200 à 800 kg, soit entre 20 et 25 % de sa masse totale. Le lithium représente 1 % de la masse de la batterie. Un véhicule équipé d’une batterie-lithium à nickel-cobalt-manganèse contient entre 2 et 8 kg de lithium, et entre 30 et 180 kg aussi de ces trois métaux. C’est donc une technologie très consommatrice de métaux.
Des recherches en cours visent à éliminer le nickel, le cobalt et le manganèse grâce à des cathodes à lithium, fer et phosphate, et d’autres, à substituer le sodium au lithium. Pour l’anode, le graphite pourrait être remplacé par un mélange silicium-graphène. Enfin, des électrolytes solides sont envisagés, etc., Ainsi, la technologie des batteries est loin d’être stabilisée et la baisse de leur coût est au cœur de la compétition acharnée entre les fabricants, car une batterie représente de 30 à 40 % du coût du véhicule. Aujourd’hui, le prix d’achat d’un véhicule électrique reste très supérieur à celui d’un véhicule à moteur thermique.
La durée de vie d’une batterie au lithium est estimée par le nombre moyen de cycles charge/décharge lui conservant au minimum 70 % de ses capacités initiales. Pour un véhicule, elle a une durée de vie de dix à vingt ans, pour une distance parcourue de 150 000 à 200 000 km.
Évolution et prévision de la consommation du lithium
La consommation du lithium était de 28,1 kt (3) en 2010 et de 93 kt en 2021, les batteries en étant le principal usage (74 %) du fait des politiques gouvernementales à l’échelle mondiale promouvant les véhicules électriques.
Le scénario visant à la neutralité carbone totale en 2040 prédit une consommation de 2 320 kt, soit 42 fois supérieure à celle de 2020. Sur la période 2020-2040, cela implique une demande cumulée de l’ordre de 20 Mt (entre 15,7 Mt et 27,1 Mt (4) pour l’ensemble des scénarios).
Les trois devenirs des batteries usagées
1- une seconde vie dédiée soit à des véhicules demandant moins d’autonomie, soit au stockage stationnaire d’énergie électrique, notamment pour les sources d’énergie renouvelables intermittentes (solaire, éolien). Cette voie restera probablement marginale dans les pays de l’Union européenne à cause du manque de « rentabilité ».
2- une mise à niveau des cathodes par injection de métaux et de lithium.
3- le recyclage des métaux et leur récupération. Cette filière est soutenue financièrement par l’UE parce que ses pays dépendent fortement des importations de métaux, dont le lithium, le graphite, le cobalt.
Ces deux dernières voies exigent de multiples opérations et procédés, pouvant être dangereux et sources de déchets : elles font encore l’objet d’études. En 2027, la masse de batteries à recycler sera de 50 000 t en France et de dix à vingt fois plus en 2035, chiffres à comparer avec la capacité actuelle de traitement de… 5 000 t/an !
Premières conclusions
1- La décision de l’Union européenne d’interdire les moteurs thermiques en 2035 trouve sa justification officielle dans la diminution des émissions de CO2 (5). Or le véhicule électrique n’en émettra pas si, et seulement si, la production de l’électricité n’en émet pas. Or, dans de nombreux pays, l’électricité est très carbonée (Allemagne, Pologne…), sans parler de la Chine. Par ailleurs, le bilan carbone de la seule fabrication d’un véhicule électrique est de l’ordre de 6 à 7 t de CO2 à comparer aux 3-4 t de CO2 pour un véhicule thermique. Pour ces deux raisons, un véhicule électrique d’autonomie supérieure à 400 km n’atteindra que rarement, sur son cycle de vie complet, un meilleur bilan carbone que celui d’un véhicule thermique. Cela ressemble beaucoup à une escroquerie.
2- Produire une voiture électrique va consommer six fois plus de métaux qu’un véhicule thermique : encore une fuite en avant ?
3- Le coût énergétique du démantèlement des batteries en fin de vie est donc encore mal connu, ce qui est inquiétant. Et on comprend ainsi que « les déchets, on verra plus tard ! »
4- Pour la France, l’électrification complète du parc automobile en 2050 exigerait une augmentation de la consommation électrique annuelle de l’ordre de 200 TWh (6) sur les 475 TWh consommés en 2020. Cela représente une augmentation de la production électrique annuelle de 42 %. Cet aspect n’est pas mis en avant dans les projections officielles.
L’ensemble de ces données montrent que l’électrification du parc n’est pas une solution miracle et a encore de nombreuses zones d’ombre. Elle ressemble à une fuite en avant. Dans la seconde partie de cet article, les besoins en lithium seront confrontés à ses réserves et ressources et les plans de l’Union européenne seront présentés, avec leurs conséquences.
Jean Dubessy
(1) Dans une batterie en phase de décharge alimentant un circuit électrique, l’anode (pôle négatif) émet dans le circuit électrique des électrons que la cathode (pôle positif) reçoit.
(2) Li => Li+ + e-
(3) 1 kt = 1 kilotonne = 1000 tonnes ; 1 Mt = 1 million de tonnes
(4) https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/lithium-transition-energetique-au-dela-question-des-ressources
(5) Personne ne contestera en revanche que la non-émission des gaz polluants (autres que le CO2) réduira la pollution de l’air urbain
(6) https://jancovici.com/transition-energetique/transports/la-voiture-electrique-est-elle-la-solution-aux-problemes-de-pollution-automobile/