Depuis plusieurs années, Macron et son gouvernement cherchent une solution pour satisfaire aux injonctions de l’Union européenne d’ouverture du marché de l’électricité, tout en préservant les intérêts du capitalisme français.
La « transition énergétique », qui se fixe pour objectif l’abandon des énergies fossiles, nécessite un accroissement de la production électrique. Une électricité produite en grande quantité, à faible coût, propre, sans intermittence, en bonnes conditions de sécurité est vitale pour la population et ne devrait relever que du service public. Mais pour le capital, l’électricité, c’est une marchandise, une source de profit. C’est pourquoi l’Union européenne a imposé l’ouverture du marché de l’électricité, au prétexte de « concurrence libre et non faussée », pour permettre au capital d’accéder à ce pactole. C’est l’objet du sous-paragraphe 1.
1. EDF et le projet Hercule
En 1946, EDF est créée, en même temps que GDF, par la loi de nationalisation des 1 450 entreprises françaises d’électricité et de gaz pour assurer la production et la distribution de l’électricité et du gaz en France. À partir de 2004, le marché français de l’électricité est ouvert à la concurrence, suivi de l’ouverture totale des marchés de l’énergie. À cette fin, EDF est privatisée et devient une société anonyme, qui entre en Bourse en 2005. En avril 2019, EDF lance le projet Hercule pour faire éclater EDF en trois entités :
– EDF « bleu », 100 % national, comprenant le nucléaire et le transport sur les lignes haute tension (RTE) ;
– EDF « vert », au capital ouvert en Bourse, pour l’énergie solaire et l’éolien ;
– EDF « azur », pour exploiter les centrales hydroélectriques, cette activité pouvant être ouverte au secteur privé pour garder une « marge de négociation » avec Bruxelles.
Ce projet soulève immédiatement l’opposition des syndicats d’EDF qui dénoncent un processus de démantèlement. Plusieurs grèves ont lieu et de nombreux élus de collectivités locales manifestent leur hostilité. Finalement, le projet est arrêté en juillet 2022. Mais les objectifs demeurent.
En France, les centrales hydroélectriques produisent 13 % de l’électricité totale. C’est la deuxième source après le nucléaire. Et c’est la première source d’électricité renouvelable (52 % du renouvelable). Quatre cents installations hydroélectriques de puissance supérieure à 4,5 MW ont leur exploitation déléguée par l’État à des concessionnaires. EDF est titulaire de 75 % de ces contrats de concession. À la fin de 2023, 150 seront arrivés à échéance. Or Bruxelles exige que ces concessions soient ouvertes à la concurrence et qu’EDF en soit exclue .
L’électricité hydroélectrique
En France, les centrales hydroélectriques produisent 13 % de l’électricité totale. C’est la deuxième source après le nucléaire. Et c’est la première source d’électricité renouvelable (52 % du renouvelable). Quatre cents installations hydroélectriques de puissance supérieure à 4,5 MW ont leur exploitation déléguée par l’État à des concessionnaires. EDF est titulaire de 75 % de ces contrats de concession. À la fin de 2023, 150 seront arrivés à échéance. Or Bruxelles exige que ces concessions soient ouvertes à la concurrence et qu’EDF en soit exclue.
Une source d’électricité propre… et une affaire juteuse
L’énergie hydroélectrique produit une électricité propre, renouvelable, stockable, pas chère. Un exemple tout à fait instructif est fourni par les cinq barrages de Corrèze sur la haute vallée de la Dordogne. La puissance totale correspond à celle de deux réacteurs nucléaires. Construits entre 1932 et 1957, avec l’argent de l’État, l’investissement est amorti depuis bien longtemps. Le coût de production de l’électricité par ces barrages est très inférieur à celui d’un réacteur nucléaire. Leur exploitation est, de ce fait, une source de revenus substantiels. Les entreprises privées rêvent donc d’obtenir ces concessions.
Mais l’exploitation d’un barrage est une mission de service public, pas seulement limitée à la production d’électricité. Elle assure la régulation du débit du fleuve, la gestion de l’eau (irrigation et eau potable), de la pêche, du tourisme (canotage sur la Dordogne), le refroidissement des centrales nucléaires… Ce qui nécessite une coordination incompatible avec la gestion séparée de barrages concurrents dont la préoccupation principale sera le profit. La privatisation « à la découpe » serait catastrophique.
Une méthode performante de stockage de l’électricité… mais pas compatible avec la recherche du profit
Les barrages hydroélectriques ont aussi un atout potentiel majeur : la possibilité de stockage d’électricité par des installations STEP. Le principe du STEP est développé dans le sous-paragraphe 2.
2. Stockage d’électricité par STEP
Station de transfert d’énergie par pompage-turbinage. Qu’est-ce que c’est ? Le principe consiste à transférer l’eau entre deux retenues : de la retenue supérieure vers l’inférieure, on produit de l’électricité en actionnant des turbines. Aux heures creuses (électricité pas chère et peu demandée), l’eau est remontée par pompage dans la retenue supérieure. C’est donc un système de stockage d’une grande utilité pour un réseau électrique comportant des sources intermittentes (exemple : éoliennes, photovoltaïques). En cas de pics de consommation, la mise en service d’une STEP est quasiment immédiate (quelques minutes) et, contrairement aux centrales thermiques (au charbon ou au gaz), c’est une source d’énergie décarbonée et renouvelable. Il existe six STEP en France. La plus importante est celle de Grandmaison (Isère), dont la puissance installée est équivalente à presque deux réacteurs nucléaires.
Le projet d’une STEP a été initié depuis plus quarante ans sur la Haute-Dordogne, sur le site de Redenat (Corrèze). Cette centrale aurait la puissance d’un réacteur nucléaire. La retenue inférieure existe déjà (barrage du Chastang). Deux galeries de 700 mètres ont été creusées dans la montagne pour remonter l’eau. Mais les travaux ont été arrêtés en 1982 car, à l’époque, en plein développement des centrales nucléaires, le coût de ce stockage d’électricité n’était pas jugé concurrentiel. Depuis, EDF n’a pas poursuivi le projet car elle se refuse à investir sans garantie d’en tirer profit, puisque l’exploitation peut passer à la concurrence. Néanmoins, EDF conserve ces tunnels. Les caractéristiques techniques de l’usine électrique et l’implantation de la retenue supérieure sont définies. Les terrains sont réservés et inhabités. Hollande, alors président du conseil général de la Corrèze, avait visité cette installation dans le but de réactiver ce projet. Mais devenu président de la République, il n’a pas donné suite, pour ne pas s’opposer aux directives de l’Union européenne.
Les projets de démantèlement du service public d’électricité ont-ils été arrêtés ?
Le gouvernement a lancé en octobre 2022 une nouvelle opération dite de renationalisation d’EDF. Il s’agit d’une grossière manipulation.
3. La pseudo-renationalisation d’EDF
EDF, dans son statut actuel, est une entreprise privée (voir sous-paragrahe 1). L’État en possédait 84 % des actions. L’opération dite de renationalisation de Macron consiste-t-elle à redonner à EDF le statut d’entreprise publique ? Absolument pas. En octobre 2022, l’État a lancé une offre publique d’achat (OPA) auprès des actionnaires minoritaires pour racheter leurs actions et devenir actionnaire unique d’une entreprise privée, après mai 2024.
Pourquoi une telle opération ? En devenant actionnaire unique, l’État devient seul décisionnaire sur l’avenir d’EDF, sans contrôle extérieur gênant. Macron prétend ainsi sanctuariser les centrales nucléaires. Mais il a en réalité la possibilité de procéder, sans entrave, au découpage d’EDF, en trois parties comme dans le projet Hercule, et de se séparer des barrages hydro-électriques pour satisfaire aux exigences de l’Union européenne – Fin du sous-paragraphe 3.
De son côté, le PS a déposé, le 27 décembre 2022, une loi « visant à la nationalisation du groupe EDF ». Mais il s’agissait d’une nationalisation du type de celles de 1982 engagées par Mitterrand qui prévoyait d’indemniser les actionnaires. De plus, cette loi ne remettait pas en cause la mise en concurrence avec des entreprises privées, ainsi que l’exige l’Union européenne. Après examen par l’Assemblée nationale et le Sénat, cette proposition a été modifiée et son article 1er supprimé (« La société Électricité de France est nationalisée. »)… ce qui a conduit à son adoption en seconde lecture.
Le journal Les Échos du 16 mai 2023 évoque une solution qui consisterait à céder à EDF les barrages, qui sont propriété de l’État. Mais rien n’empêchera EDF, entreprise privée, de revendre ses actions à n’importe quel capitaliste. La porte reste donc ouverte à la privatisation des barrages et à la préparation à leur sortie d’un service public de l’énergie.
Pour assurer la fourniture d’électricité au compte de l’intérêt général de la population, un gouvernement ouvrier devra établir un monopole d’État sur la production et la distribution d’électricité, et pour cela, procéder à l’expropriation sans indemnité ni rachat de toutes les entreprises relevant du secteur de l’énergie.
Antoine Tronche