Sans un service public des forêts, il ne peut y avoir de préservation de la forêt ! (2/2)

Dans l’article 1/2 nous avons vu que le service rendu par la forêt à l’humanité est mis en péril par le capitalisme et son marché. Nous expliquons dans cet article 2/2 qu’il ne peut être rétabli que par un gouverrnement ouvrier au service de la population.

La forêt française occupe 31 % du territoire national. Les collectivités territoriales et l’État en possèdent 26 %, et c’est l’Office national des forêts (ONF) qui gère ce secteur.

Les 74 % restants sont détenus par 3,5 millions de propriétaires privés. Ces propriétés sont très diverses par leur taille et par l’intérêt qu’y portent leurs propriétaires. Certains propriétaires n’exploitent pas leur bois, faute de chemin d’accès, de connaissances techniques et administratives ou faute de surface critique. Ce qui explique que 35 % du bois est produit dans le secteur public.

D’autres propriétaires sont victimes d’acheteurs peu scrupuleux qui viennent prélever les plus beaux sujets, sans prendre en compte la pérennité de la ressource. Un propriétaire témoigne (1) : « Le sapin pectiné a besoin, pour sa croissance, d’un certain ombrage. Si on abat tous les grands sujets, les plus commercialisables, on compromet la pousse ultérieure des jeunes sujets. »

La complexité de la gestion forestière nécessite la compétence d’un technicien forestier. Il existe bien un service public, le Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui s’occupe du conseil aux propriétaires, mais il n’intervient que s’il est sollicité et il n’oriente les propriétaires que par le biais d’exonérations fiscales. Or les méthodes de coupe et les travaux entre les coupes ont un impact écologique et ne peuvent relever de la seule décision privée. Citons quelques problématiques à ce sujet.

 

Coupe rase de résineux, commune de Jaujac (Ardèche)

– La pratique des coupes rases (abattage de tous les arbres), qui minimise le coût d’abattage, peut être destructrice pour la ressource et pour l’environnement. Les coupes sur terrain pentu favorisent le ravinement de l’humus. La décomposition de la matière organique du sol libère un pic de carbone. De plus, la coupe fragilise la tenue au vent des arbres des parcelles environnantes. À l’inverse, les prélèvements réguliers (appelés futaie jardinée) évitent ces inconvénients.

– La pratique de la monoculture peut être préjudiciable pour l’environnement. Des terrains du plateau de Millevaches en Corrèze, acquis par des fonds de pension américains, ont été plantés en monoculture de sapin de Douglas, jugé très rentable. Mais cette essence provoque une acidification du sol et une pollution des eaux de surface (2).

– Les travaux en forêt peuvent dégrader les sols en mauvaise saison ou perturber les périodes de reproduction de la faune forestière. C’est au service public d’en réglementer les dates.

– Signalons enfin le cas extrême de forêts privées en Sologne qui sont clôturées pour servir de domaines de chasse à de riches propriétaires (3) au mépris du partage traditionnel de la forêt entre tous ses usagers légitimes et au détriment de sa régénération.

Cette situation pourrait ouvrir un débat sur la propriété publique de la forêt. Mais, en tout état de cause, l’optimisation des nombreux usages de la forêt ne peut être obtenue que par la souveraineté du service public de l’ONF sur la totalité de la surface de la forêt, quel qu’en soit le propriétaire (4).

En quelques années, le travail de l’ONF s’est considérablement dégradé

On pourrait espérer que dans le domaine public, la gestion de l’ONF soit exclusivement orientée vers l’intérêt de la population et la préservation de l’environnement. C’est de moins en moins vrai.

« Il faut assurer la protection des écosystèmes, conseiller les communes, permettre l’accessibilité des forêts et l’accueil du public, faire la police de l’environnement, surveiller les coupes… Mais, dans les faits, tout est mis [par la direction] sur la production de bois au détriment des autres missions», proteste un forestier (5).

« Nous devons aussi rencontrer les élus des communes et cela se fait toujours après 19 heures. Pas de cadre horaire fixe, on doit être disponible et il y a les urgences, en cas d’incendie, d’un accident de chasse ou quand quelqu’un se perd en forêt, on assiste les gendarmes. »

Or « avec la sécheresse, il faut aller encore plus en forêt pour dresser l’inventaire des bois qui ont encore de la valeur, agir préventivement. Et de plus en plus de communes sont très demandeuses de conseils et d’interventions. Elles attendent de nous ce que l’ONF leur a promis et que nous avons du mal à tenir », témoigne un autre agent (6).

La privatisation de l’ONF

Les communes forestières commencent à se plaindre du service rendu, qui, il est vrai, baisse du fait des suppressions de postes. Insidieusement, cela rend désirable le secteur privé et prépare la disparition de l’ONF.

À l’appel des organisations syndicales, le 25 novembre 2021, les salariés se sont rassemblés devant le siège de l’ONF pour dénoncer le modèle économique de l’Office, qui s’est traduit par le nouveau contrat d’objectifs et de performance (COP), qui lie l’État à l’ONF pour la période 2021-2025.

En effet, les effectifs de l’ONF sont passés de 15 000 personnes en 1985 à 8 400 en 2021. Et ce nouveau contrat prévoit la suppression de 475 emplois en cinq ans. De plus, 43 % des salariés sont maintenant des salariés de droit privé. 

Avec ce statut privatisé, le garde forestier, désormais appelé « technicien forestier territorial », est exposé aux groupes de pression (chasseurs, communes…) qui contesteront son rôle de police assermentée en charge de la répression des vols, du respect des pratiques d’exploitation, de l’équilibre forêt-ongulés, de la préservation des sols, de la prévention des incendies, etc.

Et comment oublier que plus de 50 agents se sont suicidés de 2005 à 2020, en relation avec la politique sociale destructrice menée à cette période ?

Pour rétablir l’ONF dans toutes ses prérogatives et intégrer la maîtrise du cycle du carbone de la forêt dans ses missions

La forêt est, comme l’industrie nucléaire ou l’hydroélectricité, une activité à mener sur un cycle de quarante à cent ans. Il faut y travailler avec une vision d’avenir au service de toute la population et de tous ses usages, ce qui exclut à la fois le court terme de la vente du bois soumise aux aléas des cours des marchés mondiaux et l’abandon aux calamités.

Pour rétablir l’ONF dans toutes ses prérogatives et y ajouter la maîtrise du cycle du carbone de la forêt, il faut prélever dans les 600 milliards d’euros qui ont ruisselé depuis deux ans sur les patrons et les banquiers, afin de rétablir le statut des personnels et satisfaire les revendications. 

Bertrand Devaux, 13 juin 2022

(1) Jean-Marc Pinet, propriétaire à La Chapelle-Geneste (Haute-Loire).

(2) AG du Modef de Corrèze, 17 septembre 2021.

(3) https://www.youtube.com/watch?v=9daPgNR9KbE

(4) https://www.youtube.com/watch?v=9daPgNR9KbE

(5) Charles Papageorgiou, agent de l’ONF dans les Ardennes et délégué syndical Snupfen-Solidaires, cité par Le Monde (1er décembre 2021).

(6) https://www.youtube.com/watch?v=9daPgNR9KbE