[Dans cet article], la commission environnement du POID propose une description de la filière industrielle des déchets nucléaire en France. Le lecteur voudra bien excuser le caractère technique du sujet. Mais il lui serait difficile de comprendre les questions politiques qui seront soulevées [dans l’article 3/4].
L’industrie nucléaire en France produit chaque année des déchets radioactifs à vie longue
Ces déchets sont des substances pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est envisagée. Ils contiennent un mélange de radionucléides (1). Ils émettent des rayonnements ionisants pouvant présenter un risque plus ou moins important pour l’homme et l’environnement. Il faut donc les isoler jusqu’à la fin de leur dangerosité.
Les déchets les plus préoccupants sont ceux à vie longue ; on distingue :
– Les déchets de haute activité (HA), composés des produits de fission (PF) et des actinides mineurs (AM) (2). La décroissance de leur activité en fonction du temps est synthétisée dans la figure 1 (3).
– Les déchets de moyenne activité (MA)
Pour les déchets à vie courte, un simple stockage dans des installations de surface peut convenir car ils y perdent rapidement (4) leur dangerosité. Mais pour les déchets à vie longue, un stockage en milieu souterrain profond est envisagé.
Les déchets HA sont très radioactifs (98 % de la radioactivité). Ils sont conditionnés sous forme de verre borosilicaté (5) par une filiale de la multinationale Orano à la Hague.
Les déchets MA (2 % de la radioactivité) ont été conditionnés dans des ciments et des bitumes. Or la radiolyse, c’est-à-dire la décomposition sous l’action de radiations ionisantes, de l’eau des ciments et des chaînes carbonées du bitume, produit de l’hydrogène, gaz potentiellement inflammable. De plus, ces déchets contiennent des sels dont les réactions peuvent dégager de la chaleur préjudiciable au stockage.
Qui est responsable de la gestion de ces déchets ?
Depuis 1991, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), établissement public à caractère industriel et commercial (Épic), est chargée de la gestion industrielle, dont celle du centre industriel de stockage géologique (Cigéo) de Bure, dans la Meuse, de la recherche et de l’information sur les déchets.
Son laboratoire souterrain construit à Bure à partir de 2000 est un outil pour caractériser la roche où seront enfouis les déchets, l’argilite (6), pour estimer sa stabilité pendant et après le creusement des alvéoles et des galeries, pour caractériser son hydrologie et estimer la mobilité des différents radionucléides que les déchets finiront par relâcher.
Comment le site Cigéo, à Bure, stockera les déchets radioactifs ?
Cigéo (figure 1 ci-contre) devra stocker dans ses 270 kilomètres de galerie les déchets à vie longue, pour moitié les déchets accumulés depuis cinquante ans et pour moitié les déchets à venir.
L’autorisation de fonctionnement sera donnée au site en 2025. Les opérations de stockage s’étaleront, à partir de 2035, sur un siècle, pendant lequel le stockage sera réversible. Puis le site sera scellé définitivement, aux alentours de 2150. La sûreté du stockage devra alors être assurée sans intervention humaine, par la roche et par les scellements.
Figure 1 (ci-contre) : schéma du site de Bure (7) (le sol a été évidé dans cette représentation afin de rendre visibles les installations. Les déchets divisés en colis seront acheminés par la descenderie).
Le stockage doit être précédé d’une évaluation de la radioactivité de chaque colis pour prévoir son activité future. Cette évaluation porte sur l’intensité de l’activité et sur la vitesse de décroissance de cette activité. Cela permet de répartir les colis judicieusement dans les alvéoles dans les différents quartiers du site.
Ce stockage est-il pérenne à l’échelle de la durée de la radioactivité ?
Les travaux scientifiques dans le laboratoire souterrain de Bure ont montré que le site présente des propriétés favorables à un stockage (8). La couche d’argilite, située entre 390 mètres et 520 mètres sous la surface du sol, est dans une zone de sismicité très faible. L’eau contenue dans l’argilite circule très lentement, si bien que la zone correspondant aux travaux ne sera envahie qu’après plusieurs milliers d’années. La chaleur émise par les déchets diffusera dans l’argilite dont la température doit néanmoins rester inférieure à 90° C pour conserver ses propriétés de confinement.
Il faut comprendre ici que ce stockage n’a rien à voir avec celui d’un objet d’art dans les réserves d’un musée ! Car le concept intègre le fait que les emballages des déchets HA-VL réalisés en verre, en acier et en béton subiront tous une lente dégradation au cours du temps et perdront leur étanchéité plusieurs milliers d’années après leur enfouissement. En effet, l’arrivée de l’eau de la couche géologique sur le verre enclenchera sa lente dissolution avec libération dans l’eau de tous ses constituants (9), dont les radionucléides. Ces derniers diffuseront lentement dans l’argilite puis dans les roches sous- et sus-jacentes. La plupart d’entre eux étant très peu solubles dans l’eau, ils se reconstitueront sous forme solide, si bien que leur concentration dans l’eau sera très faible. Pour les éléments les plus solubles dans l’eau comme l’iode-129, le chlore-36, et le césium-135, à l’échelle de 10 000 ans, les données et modèles disponibles démontrent que la diffusion de radionucléides est suffisamment lente pour ne pas amener de radiotoxicité en surface.
Mais l’enfouissement de ces déchets devra tenir compte de l’instabilité géologique qui pourrait les faire réapparaitre dans la biosphère (10). En effet, il faut ici prendre en compte la tectonique des plaques (11) et donc de la collision en cours des plaques africaine et européenne. Pour les 10 000 ans à venir, les perturbations géologiques engendrées seront négligeables. En revanche, pour un million d’années, les prévisions sont peu fiables. Ainsi, on ne peut pas présager de l’état de fracturation du site et donc de nouvelles circulations d’eau.
La commission environnement du POID
Dans [l’article 3/4], nous ferons la critique des conditions dans lesquelles le capitalisme en général et les gouvernements successifs en France ont géré et gèrent cette question des déchets.
(1) Atomes radioactifs.
(2) Les actinides sont une sous-famille d’éléments du tableau de Mendeleïev qui sont tous radioactifs.
(3) Hedin A. (1997). Spent Nuclear Fuel How dangerous is it ? SKB Technical Report 97-13.
(4) Ils perdent 50 % de leur activité en moins de trente et un ans.
(5) Sorte de verre Pyrex.
(6) L’argilite est une roche sédimentaire composée d’argile (45 %), de quartz et de mica cimentés.
(7) https://www.andra.fr/cigeo
(8) Ce paragraphe s’appuie sur les données du Dossier d’option de sûreté (DOS) de 2016, établi au stade de l’avant-projet sommaire par l’Andra.
(9) C’est contre-intuitif, car nous consommons de l’eau dans nos verres tous les jours ! Mais ce n’est plus vrai à l’échelle des durées évoquées ici !
(10) La biosphère est la partie de notre planète où la vie s’est développée.
(11) Mouvements continus des parties « rigides » superficielles de la terre (de 30 à 80 kilomètres d’épaisseur) qui induisent le volcanisme, les séismes, la formation des océans, des montagnes, etc.