ENQUÊTE. À Rennes, la mixité scolaire en panne dans les écoles, collèges et lycées
En octobre 2022, l’Éducation nationale dévoilait l’indice de position sociale (IPS) des établissements scolaires. À Rennes (Ille-et-Vilaine), de l’école au lycée, une fracture sociale existe entre les quartiers, le privé et le public et entre l’enseignement professionnel et général.
La mixité sociale est un cheval de bataille récurrent des politiques éducatives françaises. Mais cela reste plus facile à dire qu’à faire. En octobre 2022, l’Éducation nationale a été contrainte, par le tribunal administratif, de rendre public l’Indice de position sociale (IPS) des établissements scolaires.
Comment est calculé l’IPS ?
Cet outil permet d’évaluer la situation sociale des élèves. Il est calculé en fonction d’un ensemble de caractéristiques familiales des élèves (professions des parents, niveau d’étude, capital culturel…). Plus l’indice est élevé, plus l’enfant évolue dans un contexte familial dit socialement favorable aux apprentissages. Et inversement.
Lire aussi : CARTES. École, collège… Ce que révèlent les indices de position sociale publiés par le ministère
À l’école, une spatialisation des inégalités
Dans les écoles de Rennes, les inégalités sont visibles dans l’espace. Le centre-ville accueille les élèves les plus favorisés, alors que les quartiers de Maurepas – Bellangerais, le Blosne et Villejean – Beauregard ont des IPS bien en dessous de la moyenne nationale (102,8).
Un diagnostic qui confirme « le creusement des inégalités sociales », selon Gaëlle Rougier, déléguée à l’éducation à Rennes. « Il ne faut pas stigmatiser les quartiers, mais on ne peut que reconnaître que les inégalités spatiales nourrissent les inégalités à l’école. » Puisque l’affectation des élèves dépend de la carte scolaire et donc du lieu d’habitation.
En France, le lien entre inégalité scolaire et inégalité sociale est l’un des plus forts d’Europe.
« La ségrégation scolaire résulte, en partie, de la ségrégation urbaine, explique Céline Piquée, chercheuse en sciences de l’éducation à Rennes 2. En France, le lien entre inégalité scolaire et inégalité sociale est l’un des plus forts d’Europe. En moyenne, un enfant issu de milieu précaire va avoir moins de chance de réussir scolairement. Et les regrouper dans le même établissement va accroître les inégalités scolaires, par rapport à ceux des milieux favorisés. »
Un constat qui pousse la ville à adapter sa géographie scolaire. « Tout en restant un service de proximité, nous sommes en train de revoir les périmètres des écoles à l’adresse près, pour créer plus de mixité dans les établissements. »
Des « écoles orphelines »
Autre problématique, au vu de leur IPS, certaines écoles déjà classées en Réseau d’éducation prioritaire (REP) mériteraient de passer en renforcé (REP + ), mais ne le sont pas. C’est notamment le cas des écoles Guyenne (Villejean), Trégain (Maurepas) et Torigné (Blosne). « Le classement en REP ou REP + est déterminé en fonction des collèges, explique Emmanuel Maray, secrétaire départementale SNUipp-FSU 35. Si le collège du secteur n’est pas classé en REP +, alors l’école ne le sera pas. »
Des écoles, dites orphelines, qui ne bénéficient donc pas d’aides supplémentaires, dont elles auraient pourtant besoin. Une refonte de la carte de l’éducation prioritaire a été annoncée par le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, le 10 janvier. Mais Gaëlle Rougier reste sceptique. « Cela ne va pas impliquer plus de moyens, mais une autre répartition. Alors que les établissements et les enseignants, déjà usés, en ont cruellement besoin. »
Échec des multicollèges
Du côté des collèges, gérés par le Département, les constats sont quasiment les mêmes que pour les écoles. Si ces établissements du second degré possèdent un IPS moyen supérieur de trois points à la moyenne nationale (103,36), les disparités entre les établissements sont parlantes. Les collèges publics, d’autant plus ceux situés dans les quartiers périphériques, possèdent les IPS les plus bas.
Rosa-Parks, dans le quartier de Villejean, est classé tout dernier, avec un indice de 72,7. Il se situe dans les 3 % des collèges concentrant les élèves les plus défavorisés du pays. Pourtant en 2018, l’académie avait revu la carte scolaire, en resectorisant les collèges, afin de favoriser « la mixité sociale ». Les familles qui dépendent du secteur pouvaient alors choisir d’inscrire leurs enfants dans le collège du quartier, Rosa-Parks, ou dans deux établissements du centre-ville : Anne-de-Bretagne (Thabor) et Émile-Zola (hypercentre).
« Cela a permis de sortir certains jeunes et catégories sociales de leur quartier, mais cela n’a fait que dégrader l’IPS de Rosa-Parks », constate Jeanne Larue, vice-présidente déléguée à l’éducation en Ille-et-Vilaine. À la rentrée 2021-2022, sur les 295 élèves de primaire du secteur, seulement 95 ont décidé d’aller à Rosa-Parks. 94 se sont inscrits soit à Anne-de-Bretagne ou à Zola. 82 sont partis dans le privé.
Une stratégie d’évitement des parents
Outre cette ségrégation spatiale, l’écart entre les établissements publics et privés est aussi frappant. Parmi les cinq établissements concentrant les élèves les plus favorisés, quatre sont privés. Alors que parmi les 10 320 collégiens rennais, 64 % sont scolarisés dans le public, 36 % dans le privé.
Le collège Assomption, à Maurepas, possède le plus haut indice de Bretagne. Dans le même quartier, à un kilomètre, le collège public Clotilde-Vauthier, classé REP (réseau d’éducation prioritaire), lui, a un IPS quasiment deux fois inférieur à celui de l’Assomption.
Lorsque les classes sont plus mixtes, le niveau des « bons élèves » est très peu impacté.
« Cette situation est symptomatique de la fuite vers le privé. Pour éviter la carte scolaire et d’inscrire leurs enfants dans des établissements avec « une moins bonne réputation », certains parents font le choix du secteur privé. » Une stratégie d’évitement qui ne fait que renforcer les inégalités, selon Céline Piquée. « Beaucoup de parents ont l’impression que scolariser leur enfant dans des établissements avec des élèves en difficultés, va faire baisser leur niveau. En réalité, de nombreux travaux contredisent ce préjugé. Lorsque les classes sont plus mixtes, le niveau des « bons élèves » est très peu impacté. Alors que ceux en difficultés progressent mieux. »
« Il faut revoir la carte scolaire »
Du côté du privé, on se prévaut « d’accueillir toutes les catégories sociales. Forcément, le public que nous accueillons est assez favorisé. Mais nous faisons en sorte de privilégier la mixité dans nos établissements », indique Michel Pellé, directeur diocésain de l’enseignement catholique du département, en prenant en exemple le collège Joséphine-Bakhita – un des trois IPS les plus bas de la ville.
Pour Céline Piquée, « le nœud du problème se joue au collège. On remarque qu’à l’entrée en 6e, il y a un passage, pour les familles qui peuvent se le permettre, du public au privé. Puis au lycée, c’est l’inverse. Cette stratégie de réussite scolaire des parents est compréhensible, mais elle accroît la ségrégation ».
Au-delà du constat, Jeanne Larue dit chercher des solutions et plaide pour une expérimentation à l’échelle de la ville. « Il faut revoir la carte scolaire, pour qu’elle soit cohérente de l’école au lycée. Cela implique de mettre tout le monde à la table des négociations : le public, le privé mais aussi les parents. »
Lycées : l’écart se creuse
Au lycée, les inégalités à l’école et au collège se poursuivent. Les catégories populaires sont surreprésentées dans les lycées professionnels. L’Indice de position sociale (IPS) moyen de ces établissements à Rennes est de 87,6 contre 126,5 pour l’enseignement général.
Une poursuite des inégalités scolaires, selon Céline Piquée. « Au collège, les élèves avec les moins bons résultats vont être orientés vers la filière professionnelle. Le plus souvent, ce sont des personnes issues de milieux précaires. »
Et alors que la rupture entre le privé et le public était lisible au collège, dans les lycées généraux, elle s’amenuise. Avec un IPS de 123,4 pour le public et de 134,5 pour le privé. Toujours selon Céline Piquée, cela peut s’expliquer par « un retour au public après le collège ». « Mais ce n’est pas aux parents d’assurer seuls la réussite de la mixité. Il faut qu’il y ait un véritable choix politique, notamment sur la sectorisation des établissements et les moyens accordés à l’enseignement. »