Quelle gestion de la forêt et de la filière bois ?
La forêt est souvent considérée comme un espace « naturel ». Il serait plus judicieux de dire que c’est un réseau d’échanges d’énergie et de matière entre la nature et l’homme. Ce réseau contribue au maintien et au développement de la vie humaine. En effet, les contributions de la forêt à la vie humaine sont nombreuses :
– Stockage des précipitations – Épuration de l’eau – Réduction de l’érosion – Production de bois – Habitat pour la faune – Habitat pour une végétation spécifique – Fonction récréative (sport, promenade, chasse, cueillette…) – Qualité paysagère
La forêt et le cycle planétaire du carbone
La forêt joue, à l’échelle planétaire, un rôle déterminant vis-à-vis des gaz à effet de serre, principalement le dioxyde de carbone (CO2). Dans les 31 % de la surface terrestre qu’elle occupe, elle stocke l’équivalent de 3 150 Gt de CO2 (1). Mais ce qui importe en la matière, c’est que le flux annuel entrant est supérieur au flux sortant d’une valeur de 11,5 Gt. La forêt est donc ce qu’on appelle un puits, un lieu de stockage.
Sur le tableau ci-dessous, les « sources » sont les causes d’émissions de CO2 et les « puits » leur lieu de stockage (en valeur annuelle moyenne de 2009 à 2018). On voit que 29 % des émissions annuelles de CO2 sur la planète sont actuellement absorbées par les écosystèmes terrestres continentaux, essentiellement forestiers. C’est insuffisant pour absorber toutes les sources, mais c’est significatif.
L’homme peut agir sur les deux sources mentionnées via une politique de la forêt et de la filière bois :
❱ En réduisant l’utilisation des combustibles fossiles :
– En substituant le bois à des matières produites au moyen d’énergies fossiles (métal, béton…)
– En substituant le bois énergie aux ressources fossiles. Pour une même énergie produite, le bois produit autant de CO2 que le charbon, mais ce CO2 peut être stocké de nouveau dans la forêt dont il est issu, si celle-ci est régénérée. Mais cet usage émet en revanche beaucoup de polluants toxiques (2).
❱ En évitant les changements défavorables dans l’utilisation des terres : en ne remplaçant plus les forêts par des cultures, car celles-ci contiennent toujours une biomasse inférieure à celle de la forêt.
❱ En évitant les émissions de CO2 de la forêt elle-même :
– En réduisant ou en maîtrisant la propagation des incendies ;
– En réduisant les chutes d’arbres occasionnées par les tempêtes (chablis) ;
– En rendant la forêt résistante aux attaques d’insectes ;
– En évitant les pics d’émissions que sont les coupes rases.
❱ En favorisant la croissance de la forêt : une forêt stabilisée à sa taille maximale (le climax) n’absorbe plus de carbone, mais une forêt en cours de régénération en absorbe.
❱ En augmentant la production de produits de longue vie à base de bois (construction, meubles…) car ils stockent du carbone.
La filière bois en France
Les volumes de bois produits en France sont écoulés à peu près également vers les trois filières :
– Bois énergie (chauffage) (29 %) ;
– Bois industrie (trituration : pâte à papier et panneaux) (37 %) ;
– Bois d’œuvre (sciage et construction) (34 %). Les grumes (3) sont essentiellement exportées et les produits en bois transformé sont essentiellement importés.
En France, le bâtiment représente actuellement un tiers des émissions de gaz à effet de serre. L’utilisation du bois d’œuvre réduirait ces émissions. Ses procédés de transformation, en atelier et sur le chantier, nécessitent peu d’énergie. Pourtant, en 2020, seulement 6 % des logements neufs ont été construits en bois. Cette filière souffre en effet des à-coups spéculatifs des cours mondiaux du bois, à-coups incompatibles avec la stabilité requise par les scieries et par l’industrie en aval.
La forêt victime des sécheresses
Les canicules et les sécheresses exceptionnelles des trois derniers étés ont affaibli les arbres et la douceur des températures a favorisé la multiplication du scolyte, un coléoptère. Après s’être introduit dans le tronc de l’épicéa, il se reproduit, et ses larves creusent des galeries empêchant la sève de s’écouler, provoquant la mort rapide de l’arbre.
« En temps normal, j’abats de 1 500 à 3 000 mètres cubes par an. Là, en 2019, j’ai fait couper 18 000 mètres cubes [de bois scolyté] », raconte un technicien de l’Office national des forêts (ONF) (4).
À Compiègne, c’est un autre ravageur, le hanneton, qui détruit les racines des feuillus. Aujourd’hui, les deux tiers de cette forêt sont en état de crise sanitaire (5).
Ainsi, en 2020, plus du quart du bois récolté par l’ONF était dépérissant, contre 7 % en 2017.
Cette calamité n’est pas fatale. Une des solutions à long terme est d’adapter les essences. Les espèces menacées (épicéa, hêtre, sapin, frêne) pourraient céder la place aux essences les plus résistantes du lieu (chêne sessile, douglas, pin sylvestre), voire à des essences méditerranéennes (chêne pubescent, cèdre, pin maritime, pin d’Alep).
Une seconde piste existe :
« Les plantations avec une structure un peu plus hétérogène s’en sortent mieux que celles où tous les arbres ont le même diamètre. Les peuplements plus diversifiés en termes de structures et d’essences sont donc une piste intéressante pour mettre en place une sylviculture plus résiliente aux changements climatiques. Si l’on veut des systèmes qui durent, il faut changer de paradigme (6) sylvicole et arrêter les plantations monospécifiques » (7).
Mais ces deux solutions relèvent du long terme, elles sont incompatibles avec le court terme du profit et de la spéculation des cours mondiaux qui encouragent des plantations d’une seule essence, plantée en une seule fois.
Il y a donc là un problème de politique forestière, antagonique avec la logique du marché du bois.
Bertrand Devaux, 13 juin 2022
Nous verrons dans le prochain numéro de la Tribune des travailleurs comment cette politique forestière ne peut être menée que par un service public de la forêt.
(1) Gt : gigatonne = milliard de tonnes
(2) Relire à ce sujet l’article de Paul Robel dans la Tribune des travailleurs n°274.
(3) Grume : troncs d’arbres abattus dont on a coupé les branches, mais qui ont gardé leur écorce.
(4) Charles Papageorgiou, ONF (Le Monde, 24 novembre 2021).
(5) Guillaume Declochez, adjoint au responsable de l’unité de Compiègne pour l’ONF.
(6) Modèle.
(7) Clémentine Ols, laboratoire d’inventaire forestier de l’Institut national de l’information géographique et forestière.