Le nucléaire, la science, le capitalisme (1/4)

Quelques rappels historiques sur l’apparition de l’énergie nucléaire et les conditions politiques de son développement sont indispensables.

Les bases scientifiques

Le début du XXe siècle voit l’émergence d’avancées scientifiques considérables : la radioactivité (Henri Becquerel, Pierre et Marie Curie), la mécanique quantique (Max Planck), la relativité (Albert Einstein). Les applications de ces progrès scientifiques sont encore loin d’être épuisées aujourd’hui. Dès le début, ces avancées ont donné lieu à des applications extraordinaires pour le bien-être de l’humanité (la curiethérapie, la radiothérapie).

Les trois décennies suivantes voient se développer une intense activité dans ces domaines scientifiques et des collaborations entre les plus éminents scientifiques de nombreux pays, avec des découvertes et des résultats inédits. Mais l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933 va perturber profondément cette activité : de nombreux scientifiques européens – dont beaucoup sont juifs – sont contraints d’émigrer en catastrophe aux États-Unis.

L’énergie nucléaire : un concept réalisable

La faisabilité de la fission nucléaire (le bombardement de noyaux d’atomes d’uranium par des neutrons qui conduit à leur rupture libérant une quantité d’énergie plusieurs millions de fois supérieure à celle obtenue lors de réactions chimiques classiques) est établie par l’Autrichienne Lise Meitner et les Allemands Otto Hahn et Fritz Strassmann en 1938. La possibilité que ce phénomène donne lieu à des réactions en chaîne permettant une production d’énergie d’un niveau inconnu jusqu’alors est établie, entre autres, par le Hongrois Léo Szilard, mais aussi Yakov Zel’dovich et Youli Khariton en URSS. En mai 1939, l’équipe du Collège de France, dirigée par Frédéric Joliot-Curie, porte au plus loin le concept en déposant trois brevets : deux concernent la production « civile » d’énergie nucléaire et le troisième, pour la première fois, un concept de « bombe atomique ».

L’équipe du Collège de France : Lew Kowarski, Frédéric Joliot, Hans Halban

L’énergie nucléaire otage de la crise du capitalisme

En 1939, la crise du capitalisme a atteint un tel degré que la guerre impérialiste apparaît inévitable. La classe ouvrière a subi des défaites majeures en Italie, en Allemagne, en Espagne et en URSS où triomphe le stalinisme. Les scientifiques, même les plus conscients politiquement, vont subir cette pression et permettre aux puissances capitalistes (principalement les États-Unis) d’utiliser à des fins militaires les récents résultats sur l’énergie nucléaire. Le 2 août 1939, Einstein, en dépit de ses positions pacifistes, signe avec Szilard une lettre au président Roosevelt l’incitant à engager la construction d’une arme de ce type.

La bombe atomique

La construction de l’arme atomique américaine – le projet « Manhattan » – prendra réellement son essor après l’attaque japonaise de décembre 1941 à Pearl Harbor. Des moyens exceptionnels vont être mis à la disposition du projet. Robert Oppenheimer, physicien renommé, recevra l’aide des prix Nobel Enrico Fermi, Niels Bohr, Isidor Rabi, James Chadwick et de 4 000 scientifiques et ingénieurs. La plupart d’entre eux étaient animés par le besoin d’être utiles dans la lutte contre Hitler et le nazisme.

Staline met plus de temps à comprendre l’enjeu d’une arme atomique. Ce n’est qu’après la bataille de Stalingrad (1943) qu’il décide de lancer un projet avec des moyens sans commune mesure avec ceux des États-Unis.

Un premier engin américain sera terminé en juillet 1945. Une question se pose alors : faut-il procéder à l’expérience réelle ? Seule une telle expérience pouvait valider ou infirmer les prévisions issues des calculs et des modèles théoriques. Le nouveau président, Truman, exigea que l’essai de la bombe soit effectué avant l’ouverture de la conférence de Potsdam, le 17 juillet, pour pouvoir prendre l’avantage sur Staline et Churchill. L’essai (dénommé « Trinity »), couronné de succès, eut lieu le 16 juillet dans le désert du Nouveau-Mexique.

Le 6 août 1945, une première bombe fut larguée au Japon sur Hiroshima, le 9 août une seconde sur Nagasaki, provoquant 212 000 morts.

L’opposition des scientifiques à la prolifération des armes nucléaires

La guerre et l’économie d’armement prennent une place de plus en plus déterminante dans l’économie capitaliste agonisante. Les forces productives de la société, dont la science, doivent être orientées vers l’industrie de la guerre.

Mais, après Hiroshima et Nagasaki, nombre de scientifiques s’opposeront au développement d’armes atomiques.

– Oppenheimer se prononcera contre le développement de la bombe H. Il sera écarté des recherches sur l’énergie nucléaire et relevé de toutes ses responsabilités en 1954, accusé d’être un sympathisant communiste et un espion soviétique ; il ne sera réhabilité qu’en 1963.

– Einstein militera pour le désarmement atomique ; par son manifeste de 1955 avec Russell, il appelle à l’organisation d’un congrès « neutre politiquement » où les scientifiques évalueraient les dangers des armes atomiques pour l’humanité. Avant sa mort, il déclarera : « J’ai fait une grande erreur dans ma vie quand j’ai signé cette lettre » (celle de 1939 à Roosevelt).

– Joliot-Curie, membre du PCF, directeur général du CNRS puis haut-commissaire du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), lance en 1950 « l’appel de Stockholm » pour l’interdiction de l’arme atomique. Il est alors révoqué immédiatement de son poste de haut-commissaire par le gouvernement. Il signera aussi le manifeste Einstein-Russell.

Le « nucléaire civil ». Les premières centrales nucléaires

La possibilité d’extraire d’énormes quantités d’énergie par la fission nucléaire ayant été démontrée, des recherches furent développées dans plusieurs pays pour trouver les conditions permettant de maîtriser le processus de libération de cette énergie.

Un réacteur expérimental (EBR-I) de quelques centaines de watts fut construit en décembre 1951 aux États-Unis. La première centrale nucléaire civile fut connectée au réseau électrique le 27 juin 1954 à Obninsk, en URSS. Suivirent les centrales nucléaires de Marcoule en France (1956), Sellafield au Royaume-Uni (1956), Shippingport aux États-Unis (1957). La construction de la centrale nucléaire de Chinon (EDF 1) débutera en 1957. Le premier réacteur nucléaire chinois est Daya Bay-1, en 1993. Actuellement, 441 réacteurs nucléaires opérationnels existent dans le monde (dont 33 à l’arrêt au Japon). Cinquante-quatre sont en construction.

Centrale d’Obninsk

Quel avenir pour l’électricité d’origine nucléaire ?

Les extraordinaires progrès scientifiques au XXe siècle, dans le domaine de la relativité, de la mécanique quantique, de la radioactivité, ont conduit à d’innombrables applications dans notre vie de tous les jours : énergie nucléaire, spatial, transports, informatique, imagerie, biologie, médecine, archéologie…

Mais, dans le développement des énergies nécessaires, les capitalistes se soucient peu de leur nature (charbon, pétrole, gaz, bois, hydroélectrique, nucléaire, solaire, éolien, géothermie,…) et de leurs conséquences : l’épuisement des ressources, les pollutions engendrées, le réchauffement climatique, etc. Le seul paramètre qui compte pour eux, c’est l’obtention du profit maximum. De leur part, vanter les avantages, réels ou supposés, de tel ou tel type d’énergie n’est qu’un rideau de fumée pour dissimuler leurs préoccupations véritables.

Antoine Tronche, le 27 juin 2022


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