entretien avec Cécile Aspâra

Tu es danseuse, parles nous de la situation des artistes en France.

Etre artiste a de tout temps été un beau métier mais difficile. En France, par rapport à d’autres pays, la culture et les artistes ont une place importante et privilégiée. Malheureusement, je peux dire que la situation des artistes aujourd’hui s’est beaucoup dégradée depuis que j’ai commencé, il y a plus de 30 ans. Beaucoup d’entre nous constatons avoir moins de travail et être moins bien payé. L’écart entre les artistes institutionnels et indépendants s’est creusé. Pour s’en sortir, on doit faire beaucoup d’administratif, de communication au détriment du travail artistique.

Mais une chose est sûre, on ne sait pas faire grand-chose d’autre, passer de riche à pauvre est lié à cette profession. On le sait quand on choisit ce métier.

On entend souvent parler, par erreur, du “statut” des intermittents” explique nous cela.

Il y a quelques années, dans une période de plein emploi, certains corps de métier : acteur-trice, musicien-ne, danseur-se, technicien-ne, décorateur-trice, etc. étaient des salariés-es à l’emploi discontinu. Il a été alors créé un régime spécifique appelé « assurance chômage des intermittents ». C’est donc un régime d’assurance chômage et non un «statut» qui se référerait à un «métier».

C’est important de le souligner, car en 2014, les intermittents-tes se sont battus-es non seulement pour défendre leur régime spécifique mais aussi pour le reste des salariés-es à l’emploi discontinu avec plusieurs employeurs. Le mot d’ordre était « ce que nous défendons, nous le défendons pour tous ».

La réforme Rebsamen, sous la houlette du MEDEF était extrêmement libérale : elle préconisait généraliser la précarité chez tous les salariés-es. Elle organisait la disparition des annexes 8 et 10 des intermittents-tes, adaptées pourtant à des pratiques d’emploi spécifiques et précaires. N’oublions pas que les saisonniers ont basculé au régime général en 2011. Pour rappel, il y a 9 millions de pauvres dans ce pays, 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés.

Sur ce sujet à prolonger mon blog Médiapart :
> https://blogs.mediapart.fr/cecile-apsara/blog/180614/nous-assistons-au-processus- europeen-de-demantelement-de-l-assurance-chomage

Aujourd’hui, nombreux-ses sont celles et ceux qui sont devenus auto-entrepreneurs-ses ou passés-es au RSA.
Ils/elles ont beaucoup de mal à imposer un rapport de force. Et cela touche particulièrement les femmes.

Je le vois tous les jours dans mon quotidien avec ma mère dépendante, avec les auxiliaires de vie, infirmières, aides ménagères. Leurs conditions de travail sont désastreuses et choquantes. Les jeunes artistes n’ont pas connu la protection qu’on a pu avoir et sont déjà prêts-tes à avoir plusieurs métiers, en gros ils/elles sont prêts-tes à s’adapter à un système ultra capitaliste. C’est un retour en arrière de l’intelligence de l’organisation de la société. Heureusement, des réseaux parallèles de résistance se construisent. Non seulement en créant de nouveaux types de marché mais aussi en créant des collectifs comme la CIP (Coordination des Intermittents et Précaires) dont je fais partie.

Je pense que les syndicats ont des rôles déterminants pour les luttes et en effet, c’est important que leurs bases reprennent la main et de ne pas tout attendre de leurs dirigeants-tes. Mais dans notre cas, nous avons eu des difficultés au moment des actions, et la CIP s’est constituée pour les contourner, réaction épidermique en effet. Le corps de la troupe a rejoint la CIP… dans la lutte on ne peut pas perdre de temps à négocier pour prendre le contrôle. Et la CIP a fait un travail extraordinaire dans ses propositions, par exemple en élaborant un régime d’assurance chômage spécifique qui couterait moins cher à l’UNEDIC (10 ans de travail). Elle a fini par avoir le droit de faire partie des négociations paritaires. Ses actions ont été aussi déterminantes pour faire plier le gouvernement. Peut-être que ces scissions sont nécessaires ? FO, Sud mais surtout la CGT ont aussi eu leurs rôles bien sûr et sur chaque action, dans les AG, nous étions unis.

Mais par ailleurs, le plus important pour moi est le sens de ces luttes, quand j’y ai participé j’ai ressenti une grande frustration de l’évanescence du lien avec la pensée et l’organisation politique. C’est aussi pour ça que j’ai adhéré au POID mais c’est la question suivante !

Tu as adhéré au POID, donnes-nous les raisons.

C’est difficile pour nous artistes, d’adhérer à un parti car on nous colle vite une étiquette. Mais toute ma vie, j’ai lu et continue de lire, écouter et réfléchir, douter et chercher. Je suis à l’écoute de plusieurs amis-es de tendances politiques de gauche avec leur différences. Mes parents ont été politisés toute leur vie. J’ai été marié à un Cubain en accord avec la révolution et son pays.

En novembre 2017, j’ai assisté au symposium sur la révolution russe puis à la Conférence ouvrière européenne en mai 2018 organisés par le POID. J’ai trouvé les “têtes pensantes” qui y participaient, édifiantes. Ensuite, j’ai rencontré les camarades à Rennes. Les débats des réunions et les personnes présentes m’ont beaucoup plus. J’ai aussi rencontré des jeunes dans ces conférences ainsi qu’à la manifestation Unité pour chasser Macron. J’ai donc eu envie de soutenir le POID et de dialoguer en direct, pas qu’en lecture et sur les réseaux sociaux. J’ai eu besoin aussi de lutter dans une organisation qui met la lutte des classes, l’éducation et l’écoute au cœur de sa politique.

Enfin, comme je suis nouvelle, maintenant, je vais découvrir ce parti. Je suis ouverte à toute forme de lutte. J’admire l’imagination des jeunes aujourd’hui dans leurs actions. Je crois que le mot « unité » est déterminant, s’écouter, se parler et garder les points forts de chacun.

Il y a peut-être de l’utopie au POID mais toutes les grandes révolutions ne sont-elles pas nées grâce à l’utopie ?