Le moteur à hydrogène ?

L’hydrogène, solution d’avenir ou nouvelle mode ?

La loi du 17 août 2015 relative « à la transition énergétique pour la croissance verte » se proposait de « renforcer l’indépendance énergétique du pays, réduire les émissions de gaz à effet de serre et accélérer la croissance verte ». Nous examinons, dans cet article, la réalité de cette « transition » à travers le thème de l’hydrogène.

De nos jours, l’« écologie » est devenue le mot magique de tout programme politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Le gouvernement Macron vient de proclamer qu’il faut se lancer à fond dans la filière hydrogène : 2 milliards d’euros vont être offerts d’ici à la fin de l’année 2022 aux entreprises qui se lanceront dans le développement de projets et 7,2 milliards seront distribués d’ici à 2030. De son côté, la Commission européenne a lancé son plan stratégique de déploiement de l’hydrogène pour lequel elle prévoit des investissements massifs : 470 milliards jusqu’à 2050. Que peut-on en penser ?

Pourquoi l’utilisation de l’hydrogène est-elle séduisante ?

* La réaction chimique de l’hydrogène avec l’oxygène de l’air produit uniquement de la vapeur d’eau. La réaction directe se produit avec un dégagement important d’énergie thermique. On peut aussi la contrôler avec un catalyseur dans une pile à combustible pour produire de l’électricité. Il n’y a donc pas production de gaz carbonique (CO2), l’un des principaux gaz à effet de serre. D’où le terme de production d’énergie « décarbonée ».

* La fusion de deux noyaux atomiques issus de l’hydrogène libère une quantité énorme d’énergie sans production des déchets radioactifs qui sont l’un des inconvénients des centrales nucléaires classiques.

Comment produit-on l’hydrogène actuellement ?

Pour 95 % par un procédé chimique appelé vaporeformage d’hydrocarbures (principalement du méthane), très consommateur d’énergie et très polluant : il libère de grandes quantités de CO2.

Pour 5 % par électrolyse de l’eau (1), procédé qui consomme énormément d’électricité et s’effectue avec une importante perte d’énergie (rendement de seulement 60 %). Et pour lequel se pose une question essentielle : comment a été produite l’électricité utilisée pour l’électrolyse ? Est-elle « verte » (c’est-à-dire sans production de CO2) ?

Pour quelles utilisations ?

Depuis plusieurs décennies, l’hydrogène est utilisé dans le secteur spatial comme carburant pour les moteurs de fusée (ex. : Ariane) et pour la production d’électricité dans les véhicules spatiaux (piles à combustible) ; mais aussi dans l’industrie (engrais, chimie). En projet aujourd’hui : l’utilisation pour la « décarbonation » des procédés industriels (sidérurgie, cimenteries) ; mais aussi dans les transports, soit en additif aux carburants fossiles, en faible proportion, soit dans des piles à combustible afin de produire de l’électricité pour des moteurs électriques.

Utiliser l’hydrogène comme moyen de pallier les irrégularités de fourniture de l’électricité produite par intermittence ?

C’est une idée très en vogue actuellement. Les éoliennes sont soumises aux caprices du vent et les panneaux solaires à ceux de l’ensoleillement. Il faut donc un moyen de produire, à la demande, de l’électricité lorsque ces dispositifs ne peuvent le faire. La méthode classique, couramment utilisée, consiste à stocker l’électricité dans des batteries. L’hydrogène stocké dans des réservoirs permettrait aussi de faire fonctionner à la demande des piles à combustible. Mais ce procédé de stockage pose plusieurs problèmes. Le rendement global de l’ensemble du processus par électrolyse puis restitution par pile à combustible est de l’ordre de 25 %, très inférieur à celui obtenu avec des batteries (de l’ordre de 70 %). Du point de vue de la préservation des ressources naturelles, il n’est pas plus vertueux : les batteries nécessitent de grandes quantités de métaux rares (lithium, cobalt, manganèse) ; les piles à combustible nécessitent du platine et leur longévité est limitée. Dans les deux cas, il y a appauvrissement accéléré des ressources en minerais et production en fin de vie de déchets polluants.

Stockage, mise en œuvre, sécurité

L’hydrogène en mélange avec l’air, même en faible proportion, est très inflammable. Son utilisation pose d’énormes problèmes de sécurité. Vu sa très faible densité, il nécessite des dispositifs de stockage adaptés pour disposer de quantités suffisantes. Plusieurs possibilités existent : sous forme gazeuse, dans des réservoirs sous pression de 400 à 700 bars (2) ; sous forme liquide, dans des réservoirs réfrigérés à – 253 degrés ; sous forme « solide », en l’incorporant à des hydrures (3), ce qui nécessite des installations de grandes dimensions et limite le débit d’hydrogène disponible ; cette méthode reste marginale.

Toute fuite depuis un réservoir peut conduire à des nuages explosifs de grandes dimensions (rappel : les réservoirs de GPL sont réglementairement équipés d’une soupape de décharge à 27 bars). Pour assurer la sécurité des utilisateurs, l’étanchéité et la tenue aux hautes pressions et très basses températures des réservoirs et canalisations conduisent à des dispositifs plus lourds, plus encombrants et plus sophistiqués, qui les rendent peu compatibles avec des véhicules individuels, même si les constructeurs développent des prototypes pour en tester la faisabilité. L’hydrogène serait donc réservé à des applications industrielles et à des transports « lourds » (trains, bateaux, avions…)

Quel est le coût de cette technique ? Qui va payer ?

Compte tenu de ce qui vient d’être rappelé, le coût de revient de cette méthode, en ce qui concerne les transports, est extrêmement élevé, tout d’abord à cause du prix des véhicules (au moins deux fois celui d’un véhicule classique). Quant à celui de la production de l’hydrogène, il reste très incertain : les industriels s’engageant actuellement dans cette filière annoncent des prix dont il est difficile de savoir s’ils correspondent à la réalité ou à des promesses commerciales. C’est, bien entendu, un enjeu capital, compte tenu de l’évolution des tarifs de l’essence et du diesel qui atteignent déjà un niveau insupportable et dépendent de la conjoncture politique.

Pour produire les quantités nécessaires d’hydrogène par électrolyse, il faudrait construire un nombre impressionnant d’électrolyseurs et produire énormément d’électricité pour les faire fonctionner. En outre, il faudrait créer dans tout le pays un réseau de stations de distribution d’hydrogène dont le prix de revient est plusieurs fois supérieur à celui des stations-service normales.

Comme pour l’éolien et le solaire, l’État va obliger EDF et les fournisseurs d’électricité à acheter l’électricité produite par ce procédé à un prix très supérieur au coût de production par les méthodes « classiques ». Au final, c’est le consommateur qui paiera, mais ce sont les capitalistes, par ailleurs bénéficiaires de grasses subventions pour développer cette filière, qui feront des profits énormes.

Alors, quel avenir pour la filière hydrogène ?

Il ne suffit pas d’affubler les thèmes à la mode de l’adjectif « vert » pour résoudre les problèmes. Comme d’habitude, de nombreuses entreprises se bousculent pour vendre une solution qui sert leurs intérêts, en prenant bien soin de ne mettre en avant que les aspects qui leur permettront d’obtenir les subventions de l’État ou de l’Union européenne. À la clé, une source de juteux profits dans le cadre de la « transition énergétique », en faisant miroiter des techniques idylliques pour justifier l’abandon d’autres, qualifiées de dépassées car moins rentables, donc peu génératrices de profit. Ce n’est pas nier les propriétés intéressantes de l’hydrogène que de constater que d’immenses obstacles restent à surmonter pour la production, le stockage, l’utilisation, le rendement énergétique, la sécurité, etc. Aucun de ces problèmes ne peut être résolu sans le développement d’une recherche scientifique fondamentale, libérée de la tutelle du profit capitaliste. À l’inverse, un gouvernement ouvrier abordera la question de l’utilisation de l’hydrogène du point de vue de la préservation de l’humanité et des intérêts de la majorité de la population. Il n’hésitera pas à considérer le problème dans sa complexité et ses aspects multiples, sans dissimuler la difficulté de concilier des exigences qui peuvent s’avérer contradictoires.

(1) Procédé qui décompose l’eau en oxygène et en hydrogène grâce à un courant électrique.

(2) La pression atmosphérique est de 1,013 bar.

(3) Composé chimique constitué d’hydrogène et d’un autre corps.

Le 11 juin 2022, Antoine Tronche