Les accidents nucléaires, évitables ou non ? (4/4)

La production d’énergie a toujours été marquée par de graves catastrophes

Toutes les substances, matériaux et procédés utilisés jusqu’à nos jours pour produire de l’énergie (principalement par réaction chimique) en vue de son utilisation pour les activités humaines sont « dangereuses » si leur manipulation ne s’effectue pas sous contrôle. Et toutes ont donné lieu à de graves accidents. Quelques exemples marquants, parmi les milliers d’accidents industriels répertoriés ayant donné lieu à des explosions :

• Le charbon : accident dans la mine de Courrières (France) en 1906 ; 1 099 morts.

• Le pétrole : accident de la raffinerie de Feyzin (France) en 1966 ; 18 morts, 84 blessés.

• Le gaz : fuite d’un gazoduc à Oufa (URSS) en 1989 ; 575 morts, 800 blessés.

• Le perchlorate d’ammonium (carburant des fusées et fabrication des airbags) : Henderson (États-Unis) en 1988 ; 2 morts, 372 blessés.

• Même l’énergie hydraulique est en cause : rupture du barrage de Malpasset (France) en 1959 ; 421 morts.

A près la catastrophe de Courrières : les femmes attendent sur le carreau de la mine en espérant voir remonter leur mari ou leur fils

Les activités industrielles sont aussi entachées de catastrophes majeures

• L’une des plus connues est la catastrophe de Seveso (Italie) en 1976 : fuite d’un nuage toxique de soude caustique et de dioxine dans la plaine de Lombardie ; des centaines de personnes intoxiquées et évacuées. Cet accident a donné lieu à une série de directives européennes pour la classification des installations industrielles présentant des risques d’accidents majeurs, sous le nom générique de directive Seveso.

• Bhopal (Inde) en 1984 : explosion dans une usine chimique et libération d’un nuage de gaz toxique ; 7 595 morts (en réalité, probablement 25 000).

• AZF (Toulouse, France) en 2001 : explosion d’un stock de nitrate d’ammonium (engrais) ; 31 morts, 2 500 blessés.

• Beyrouth (Liban) en 2020 : même problème ; 215 morts, 6 500 blessés.

• Tianjin (Chine) en 2015 : explosion d’un stock de cyanure de sodium ; 173 morts, 700 blessés, 6 000 évacués.

Une caractéristique générale dans tous ces accidents : des manquements graves dans les dispositifs de sécurité et les mesures de prévention, dont la cause est la recherche effrénée du profit par les entreprises capitalistes ou l’incurie des bureaucrates, les uns comme les autres étant plus préoccupés par leurs profits personnels que par la sécurité des populations.

Le port de Beyrouth après l’explosion

Et dans les centrales nucléaires, qu’en est-il ?

Les problèmes se posent-ils différemment ? Un bref aperçu des trois principaux accidents de centrale nucléaire est instructif.

Three Mile Island (TMI). En 1979 aux États-Unis.

À la suite d’une panne des pompes d’alimentation en eau de refroidissement du circuit secondaire et de l’addition d’erreurs de conception, de défauts techniques des matériels et des systèmes d’information et d’accumulation, d’erreurs de gestion du processus de fonctionnement de la centrale, le cœur du réacteur a fondu en partie (de l’ordre de 50 %), mais, miraculeusement, n’a pas percé la cuve, ce qui a évité de déclencher une explosion de vapeur. Conséquences : pas de morts directs ; 200 000 personnes évacuées de la région ; des études contradictoires semblent indiquer que les effets externes par irradiation ont été négligeables dans un rayon de 16 kilomètres. Cet accident aurait pu être évité si les incidents survenus précédemment avaient été traités. Mais la procédure de leur traitement était gérée selon un principe de réduction des coûts : pas de conséquences, donc pas d’importance. Ces incidents n’avaient été pris en compte ni par les exploitants d’installations nucléaires, ni par l’autorité de sûreté. Ainsi, les procédures accidentelles et la formation du personnel n’avaient pas été améliorées.

Tchernobyl. En 1986 en URSS (en Ukraine aujourd’hui).

Un essai technique pour tester le fonctionnement des pompes du circuit de refroidissement a mal tourné, en raison d’une préparation bâclée, d’ordres contradictoires et mal réfléchis des autorités, de fautes techniques des opérateurs, mais aussi d’erreurs importantes de conception : grande instabilité du réacteur à certains niveaux de puissance ; temps de réaction trop long du système d’arrêt d’urgence ; absence d’enceinte de confinement autour du réacteur. En conséquence, le réacteur atteint un pic de puissance dépassant de cent fois sa puissance nominale : une explosion se produit ; une dalle de 2 000 tonnes de béton est projetée et fracture le cœur du réacteur, provoque un incendie très important et libère un nuage de fumée contenant une grande quantité de particules radioactives. Ce nuage dérivera dans l’atmosphère et viendra impacter une grande partie de l’Europe. Par ses conséquences, c’est l’accident nucléaire le plus important du XXe siècle. Une zone d’exclusion a été évacuée dans un rayon de 30 kilomètres et 250 000 personnes ont été déplacées tardivement. Le nombre de victimes directes est sujet à polémique : probablement 4 000 morts, mais un nombre de victimes de cancers postérieurs à l’explosion difficile à estimer. Un « sarcophage » en acier a dû être édifié autour de la centrale pour isoler le cœur en fusion. Un second sarcophage devra être ajouté plus tard et ne sera terminé qu’en 2019.

Le nouveau sarcophage de la centrale de Tchernobyl

Fukushima. En 2011 au Japon.

À la suite d’un séisme de magnitude 9 survenu en mer à 300 kilomètres au nord-est de Tokyo, les réacteurs de la centrale de Fukushima, implantée en bord de mer, subissent un arrêt automatique. Le séisme est suivi d’un tsunami gigantesque qui provoque une vague de 15 mètres de hauteur qui vient submerger et inonder la centrale qui n’est protégée que par des digues de 5,7 mètres de hauteur. Les groupes électrogènes de secours sont noyés et mis hors service, ce qui entraîne l’arrêt des systèmes de refroidissement de secours des réacteurs nucléaires, provoquant ainsi la fusion du cœur de deux d’entre eux et, ultérieurement, d’un troisième. Des explosions s’ensuivent, libérant une grande quantité d’effluents radioactifs. L’évacuation d’une zone de 20 kilomètres autour de la centrale est ordonnée. 160 000 personnes seront déplacées. Les mesures d’évacuation seront progressivement levées, mais dureront jusqu’en 2018. On estime qu’aujourd’hui il reste 36 000 personnes qui n’ont pas réintégré leur domicile. Les centrales japonaises étaient gérées par la société privée Tepco. Ses dirigeants finiront par reconnaître que la conception des installations contre les séismes et les tsunamis avait été sous-dimensionnée, sinon le coût de leur réalisation aurait été trop élevé.

Dans les trois cas, la responsabilité du capitalisme (ou de la bureaucratie stalinienne, à l’époque) est totalement engagée. Les insuffisances de conception, de méthodes de construction des centrales, de formation du personnel, de documentation des procédures de conduite des opérations non habituelles et de gestion de crise, la réduction des personnels d’entretien, le recours à la sous-traitance, les pertes de compétence… ont toutes pour origine les mesures d’économies, la réduction des coûts, la sous-estimation des problèmes éventuels. On peut donc estimer que ces accidents auraient pu être évités par un gouvernement au service de la population et non au service du profit des capitalistes : il aurait, au préalable, pris les mesures nécessaires pour éviter de se trouver confronté à des situations dangereuses et ingérables.

Les fissures détectées récemment dans la tuyauterie de certaines centrales nucléaires françaises

Sur douze réacteurs du parc nucléaire français (sur un total de 56), une anomalie a été révélée au cours de la visite décennale de maintenance : la présence de fissures dans la tuyauterie du circuit d’injection de sécurité, provoquées par un phénomène de corrosion « sous contrainte ». Elles ont été mises à l’arrêt pour confirmation du diagnostic et dans le cas de cinq d’entre elles (les plus puissantes), décision a été prise de changer ces tuyauteries. Il est absolument nécessaire de mener des recherches à caractère fondamental dans le domaine de la métallurgie et de la corrosion des matériaux. Le régime capitaliste est-il prêt à consacrer les investissements et le temps nécessaires à la résolution de ce problème ?

Centrale de Civaux (Vienne), l’une des douze à l’arrêt

Quel avenir pour l’électricité d’origine nucléaire ?

Que ce soit pour tenir compte des accidents passés ou pour la prévention des risques connus actuellement ou à venir, la production d’une électricité abondante, non émettrice de gaz carbonique, et en conditions de sécurité, semble nécessaire, au même titre que d’autres sources d’énergie, pour satisfaire les besoins d’un développement harmonieux de l’humanité. Elle ne pourra s’effectuer en France que par le rétablissement du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dans toutes ses prérogatives, par la renationalisation et le retour au monopole d’EDF sur l’énergie électrique et par la défense de l’indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire.  Ces objectifs ne pourront être atteints que sous la responsabilité d’un gouvernement ouvrier et l’édification d’une société socialiste.

Antoine Tronche, le 27 juin 2022