Quel cycle pour le lithium ? (2/2)

Les conditions d’utilisation du lithium contribuent-elles à réduire l’empreinte carbone du secteur des transports ?

Le lithium sur Terre ; ressources et réserves.

La concentration moyenne du lithium est de 35 mg/kg dans la croûte continentale et de 0,17 mg/l dans l’océan. Les deux principaux types de gisements sont :

1) les granites et pegmatites (roche magmatique à grands cristaux) à lithium (26 %) (1)
2) les salars (2) (58 %).

On le trouve aussi dans les eaux des bassins sédimentaires et dans certaines eaux géothermales, en raison de sa grande solubilité dans l’eau.

Le Service géologique des états-Unis (USGS) a estimé les ressources de lithium à 89 Mt et les réserves à 22 Mt ; elles sont donc compatibles avec le scénario le plus drastique d’électrification du parc de véhicules pour 2040.

On appelle ressource une minéralisation dont la concentration moyenne, l’enveloppe et le volume ont été estimés à l’aide de multiples techniques de prospection. Ces estimations sont imprécises, mais elles donnent un ordre de grandeur. Comme les ressources dépendent aussi en partie des travaux d’exploration, elles sont sous-estimées.

Les réserves représentent la quantité de métal exploitable avec profit dans les conditions présentes du marché capitaliste. Outre les contraintes géologiques et les coûts d’exploitation, les réserves en lithium dépendent des perspectives de profits sur toute la chaîne de production des batteries qui commandent sa demande et d’où découle l’intensité de son exploration. Plus spécifiquement, les réserves dépendent des paramètres suivants : la volatilité de son prix non coté en Bourse, la spéculation, les politiques gouvernementales en matière d’énergie et de transport, les choix des banques vis-à-vis des investissements, la lutte de classe dans les sociétés minières, la stabilité politique et les normes environnementales des principaux pays producteurs. Enfin, la non-stabilisation de la technologie des batteries et de leur recyclage est une autre cause d’incertitude.

Exploitation minière du lithium et conséquences environnementales

Pour le cas du minéral, les techniques minières dégradent l’environnement, d’autant plus pour les exploitations à ciel ouvert. Destruction des sols agricoles ou des forêts, génération des poussières et augmentation des voies de communication (routières, ferroviaires) peuvent constituer des nuisances pour les habitants. La gestion des stériles miniers (3), des produits chimiques utilisés lors du traitement des minerais et des déchets, exigent des mesures pour ne pas polluer les eaux de surface. La quantité d’eau utilisée devrait prendre en compte le bilan hydrologique local et les besoins de la population locale, de l’agriculture et de l’élevage. L’électricité nécessaire à l’ensemble de l’exploitation ne devrait pas perturber les besoins locaux.

Pour les salars (cf. photo ci-dessous), la saumure lithinifère est extraite par pompage, puis le lithium est concentré par évaporation dans des bassins dont l’étanchéité doit être totale et surveillée. La dégradation de l’environnement est plus faible que celle des mines exploitant des minéraux.

 

Mine de lithium dans le désert d’Atacama avec  différents bassins d’évaporation. Source : https://yvesvandewalle.typepad.fr/photos/album/lithium.html

Le produit primaire (carbonate ou oxyde ou hydroxyde de lithium), destiné aux industries avales, est fabriqué souvent à côté de la zone d’extraction et fait appel à des procédés chimiques et électro-chimiques qui exigent des mesures de protection à la fois pour les personnels et pour l’environnement.

La stratégie industrielle dans les pays de l’UE

Devant la concurrence asiatique, les 36 fabricants de batteries et les fabricants de voitures regroupent leur production dans 35 méga-usines ou « gigafactories » incluant le recyclage des batteries. La compagnie américaine Tesla devrait être le plus grand producteur en Europe avec sa méga-usine installée à Berlin, les autres espérant avoir leur part de gâteau dans cette concurrence acharnée.

De nombreux instruments financiers

Dans le cadre du Pacte vert de l’UE (4), le principal bailleur de fonds à destination des industriels est la Banque européenne d’investissement (BEI) (5) accompagnée par de multiples fonds. Il s’agit de plusieurs milliards, voire plusieurs dizaines de milliards d’euros. Le budget européen (programme Horizon 2020) finance la recherche et l’innovation à hauteur de 1,34 Md€. S’ajoutent les « projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) » qui ouvrent la voie à une participation financière significative des pouvoirs publics dans les projets industriels, sans compter les primes à l’achat des véhicules électriques.

Pression sur les universités, la recherche publique et l’enseignement. La commission européenne via son initiative Battery 2030+ vise à « rassembler des chercheurs de haut niveau au sein des universités, des instituts et de l’industrie … pour fournir en permanence à l’industrie européenne des batteries les bases de connaissance nouvelle menant à des technologies de rupture ». L’Alliance européenne des batteries, appelle tous les « acteurs », dont « les partenaires sociaux » à faire des « efforts collaboratifs … pour mettre en œuvre des programmes de formation, de recyclage (6) et de perfectionnement » (7).

Eléments de conclusions

Le choix des solutions techniques pour minimiser la dégradation de l’environnement par l’extraction minière dépend en général de la valeur moyenne de la force de travail qui intègre en partie la réglementation environnementale et diffère donc entre pays industrialisés dominants et pays dominés peu industrialisés.

En raison de la concurrence acharnée entre groupes capitalistes, la situation est chaotique et mal maîtrisée sur l’ensemble de la chaîne de production depuis les ressources primaires.

Une restructuration profonde est en cours dans l’industrie automobile. Elle se traduit par la suppression de milliers d’emplois dans le secteur des moteurs thermiques et par la délocalisation de cette activité dans les pays à faible niveau de salaires. Ici, comme dans d’autres domaines industriels, « l’innovation » est utilisée par le capital pour augmenter la plus-value dans les anciennes technologies et pour siphonner les subventions publiques dans les nouvelles.

Une modification du cadre réglementaire de l’UE a été réalisée en 2014 car les dispositifs financiers publics sont en contradiction avec la règle d’or du traité de Maastricht interdisant toute atteinte à la « concurrence libre et non faussée ». Ainsi cette règle qui a servi à privatiser tous les services publics, est allègrement oubliée pour permettre le subventionnement du « capital vert » par les états.

Le « capital vert » veut porter atteinte à l’indépendance des services publics d’enseignement et de recherche pour les contraindre à répondre aux besoins des entreprises dans les technologies de rupture, seule voie pour concurrencer les capitalistes asiatiques. Pour atteindre cet objectif, il leur faut obtenir l’implication des syndicats.

Comment envisager un réel développement de cette technologie permettant de réduire l’empreinte environnementale du secteur des transports (véhicules légers et lourds) en l’absence d’une économie planifiée dans le cadre de la propriété collective des moyens de production ? Seule celle-là pour laquelle l’objectif n’est pas la recherche du profit pour une minorité, mais la satisfaction des besoins de l’humanité intégrera de fait la minimisation des impacts de cette technologie sur l’environnement.

Jean Dubessy

(1) Le principal minéral porteur est le spodumène, mais il y a d’autres minéraux porteurs.
(2) Lac salé formé par évaporation d’eau continentale. La concentration du lithium y dépasse 100 mg/l.
(3) Les stériles miniers sont constitués de terres, sables ou roches ne contenant pas ou très peu de minerai qui ont été extraits pour accéder au minerai exploitable.
(4) Créé fin 2019, ce plan devrait mobiliser au moins 1 000 milliards d’euros d’investissements publics et privés au cours des dix prochaines années, dont au moins 230 milliards de financements de l’UE, auxquels d’ajoutent 114 milliards des états membres.
(5) La BEI est l’institution de financement à long terme des pays membres de l’Union européenne, dont la mission est de financer les projets qui contribuent aux objectifs de l’UE. La BEI se finance par l’emprunt sur les places boursières.
(6) Il s’agit du recyclage des personnels.
(7) Source : Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques – rapport #6-Décembre 2020 : L’alliance européenne des batteries : enjeux et perspectives européennes.